Après vous avoir raconté les dessous de mon quotidien vendeuse chez Etam au cours de l’épisode 1 de cette saga, je vous propose que nous commencions l’année tout en taffetas

Après vous avoir raconté les dessous de mon quotidien vendeuse chez Etam au cours de l’épisode 1 de cette saga, je vous propose que nous commencions l’année tout en taffetas et paillettes avec l’épisode 2 : Passez en cabine, ce que révèlent les femmes qui choisissent leur robe de mariée.

Entrer dans une cabine d’essayage pour habiller les futures mariées d’une robe immaculée, de son voile, diadème et accessoires… c’est aussi faire face à leurs révélations sur leur perception du mariage, leurs complexes physiques qui les handicapent à faire un choix, c’est aussi gérer les personnes qui accompagnent les futures mariées et qui ne se passent pas de leurs petits commentaires. Et pendant que je vous raconterai tout cela, je ne manquerai pas de pimenter le récit par des anecdotes que seule une vendeuse de robe de mariée peut vous raconter. Je tiens à prévenir que cet article va se focaliser sur des situations de femmes mariées, dans le cadre d’un mariage hétérosexuel entre personnes cis-genres, pas par choix mais parce que ce sont la majorité des situations qui se sont présentées à moi.

D’un open space aux froufrous

Je racontais dans l’épisode numéro 1 de cette saga que, comme beaucoup de jeunes de notre génération, j’ai beaucoup changé d’emplois avant de me lancer à mon compte. J’ai été rédactrice web pour plusieurs médias, j’ai été chargée de communication, fait du bénévolat en hôpital, organisé des événements… Jusqu’à ce qu’en 2017, embourbée dans un poste en CDI qui ne me plaisait plus -et une déception amoureuse pour couronner le tout-, j’ai envoyé balader l’ordinateur, la mutuelle confortable et les collègues sympathiques de mon emploi de l’époque pour vivre ma meilleure vie dans l’univers qui m’avait toujours fait rêver… celui du mariage !

Et parce que la vie est bien faite, une amie travaillait à l’époque en tant que responsable adjointe du flagship, traduction de boutique de référence, de la marque espagnole Pronovias, Place des Victoire à Paris. Et coup de chance, elle cherchait justement une nouvelle vendeuse.

On n’échappe pas à son destin !

Ce job de vendeuse ne ressemblait à aucun emploi que j’avais pu exercer avant. Je passais de la rédaction, aux reportages et interview, à un job manuel où je devais déshabiller des femmes, calmer leurs angoisses, les habiller de parures parfois très lourdes.

La pression était omniprésente (Pronovias est le leader mondial dans le domaine de la robe de mariée), nous vendions des robes prestigieuses dont le budget oscillait entre 1000 et 35 000 euros, parfois plus. Et la dimension sentimentale de cette vente accentuait notre responsabilité. En effet, vendre la robe du jour J de ses clientes n’est pas exactement la même que de leur vendre un simple jean. Pourtant, je suis rapidement devenue l’une des meilleures vendeuses de la boutique malgré ma non-expérience en couture, design de robe de mariée etc… mais quand on veut et que la passion est là, aucune difficulté ne peut nous arrêter.

La boutique de robe de mariée ou le théâtre d’une grande comédie de l’amour

Cette boutique était un théâtre. Notre responsable la comparait toujours à une maison de poupées, dans laquelle nous, vendeuses, devions toujours être tirées à quatre épingles, et les clientes, des nymphes à sublimer pour le plus beau jour de leur vie. Entrer dans la boutique s’apparentait à une entrée en scène. Nous avions un uniforme noir très chic et nous devions être coiffées et maquillées de façon distinguée. Pour moi, c’était un déguisement, cela me rappelait mes années de danse classique. Moi qui ne me maquille jamais et qui prône le 100% naturel, je devais me coiffer avec un chignon serré et mettre du fard à mes yeux et du rouge à ma bouche.

Si ce dress code imposé me contraignait au début, j’ai compris qu’il me protégeait d’une certaine façon en m’imposant de rentrer dans un rôle. Ce travail est absolument unique et je ne me rendais pas compte de la responsabilité que j’avais en tant que vendeuse de robe de mariées, et surtout à quel point je rentrerais dans l’intimité de nos clientes et de leur famille. Si de nos jours, le mariage peut sembler obsolète pour certaines personnes, il reste une institution respectée et sacrée pour beaucoup. 

Choisir sa robe de mariage, un achat lourd de sens

Choisir sa robe de mariée c’est choisir la robe dont tout le monde se souviendra, c’est choisir sa tenue pour ce qui est probablement la journée la plus symbolique dans la vie d’un couple, et de celle qui nous intéresse, la femme. La robe de mariée est lourde de signification et c’est pour cela que cela est tant difficile de la choisir. Le fameux coup de cœur n’existe pas, c’est l’une des premières choses que nous apprenons quand on rentre en formation. C’est nous qui créons le coup de cœur, avec des arguments choisis, pesés et réfléchis. On s’appuie et se sert de l’entourage, les décisionnaires d’achat, ceux qui sont derrière le rideau d’essayage et qu’il faut avoir dans la poche. Je vous l’assure, pour en avoir discuté avec des agents immobiliers, vendre une robe de mariée ressemble énormément à la vente d’une maison ou d’un appartement. Si le budget diffère, la pression est quasi la même, l’enjeu est le même, on parle de l’achat d’une vie dont tout le monde se souviendra, et les techniques de vente sont sensiblement identiques. Il faut être malin, écouter, être très sensible à la communication non verbale, à ce que la cliente se prive bien de nous dire, aux regards échangés avec sa mère/meilleure amie/époux qui l’accompagne. Et construire son argumentaire de vente à partir de tous ces éléments. Je ne vous dévoilerai pas ma botte secrète, en revanche ce que je veux vous partager, c’est ce dont j’ai été témoin à ces moments-là.

Quand la famille, l’argent et la religion s’en mêlent

 La magie opère, mais pas à tous les coups. Comme j’avais en parallèle mon activité de Wedding Planner, j’étais déjà consciente que mariage ne rime pas toujours avec amour, bonheur et paillettes. On se marie parfois par pression sociale, parce qu’il faut faire « comme tout le monde », parce qu’il faut respecter des dogmes religieux, faire plaisir à sa famille, et même lorsqu’on se marie par amour, finalement ce jour tant attendu ne se déroule pas forcément comme on l’avait prévu. 

Et lorsque l’on choisit sa robe de mariée, on fait face à toutes ces difficultés que comprend l’organisation d’un mariage. Il faut prendre en compte les attentes de sa famille, de sa future belle famille, de ses amis, mais aussi savoir si on va craquer notre budget pour la robe de notre vie ou rester raisonnable, écouter les médisances de certaines amies ou les conseils bienveillants des autres ? C’est aussi le moment où des secrets de famille se découvrent, les complexes profonds se révèlent, les peurs les plus intrinsèques ressortent. Et c’est nous, vendeuses, enfermées dans 9 mètres carrés de cabines d’essayages qui gérons cela, retenons nos larmes, nos envies d’insulter les clientes désagréables, nos rires, notre émotion, pour aider et conseiller sur une robe, qui s’avère à ce moment-là beaucoup plus qu’un bout de tissu.

Les femmes, la robe et leur corps

Pronovias, là où je travaillais, propose une très large gamme de robes, que ce soit en termes de prix mais aussi avec une multitude de modèles. En effet, nous avions la chance de pouvoir habiller toutes les femmes, du 32 au 48 et plus encore. Nous avions des collections spéciales pour toutes les morphologies, et c’était tellement agréable de travailler avec des produits dans lesquels j’avais confiance et qui satisfaisaient nos clientes, sans les frustrer pour des questions de tailles.

Avant de descendre en cabine d’essayage, nous devions nous entretenir une trentaine de minutes avec les clientes pour en savoir un peu plus sur leur mariage, leurs attentes, leurs envies, les coupes qu’elles aimaient, les modèles repérés. Nous leur faisions essayer entre cinq et sept robes si nous étions efficaces. Ça représentait beaucoup de travail mais généralement, nous fixions toujours un deuxième rendez-vous après cela, et une vente se faisait à la clef. 

Mais avant cela, il y avait un véritable travail morphologique à effectuer, et jongler entre ce que voulait la cliente et ce qui lui irait. J’ai été très touchée par beaucoup de femmes qui avaient un rapport compliqué à leur corps et qui finissaient, au fur et à mesure des essayages, à aimer se regarder en tant que mariée. Se voir en robe blanche n’est jamais facile, mais l’est encore moins lorsqu’on n’aime pas son corps. Je me rappelle d’avoir essuyé les pleurs d’une jeune femme qui se trouvait ” détestable”, je cite. La véritable raison c’est qu’elle s’était vue imposer ce mariage. On savait très bien que lorsqu‘une femme avait beaucoup de mal à trouver sa robe, c’était souvent qu’il y avait un problème sous-jacent qui n’avait rien à voir avec notre boutique.

Le mariage reste encore une convention sociale dans certaines familles, pour respecter la tradition mais aussi et souvent pour des raisons religieuses. Certains mariages sont encore arrangés de nos jours, et les mariées dont c’était le cas étaient des clientes que je n’oublierai jamais. Une d’entre elle m’a dit dans la cabine “je ne veux pas de ce mariage, on ne s’aime pas”. Nous avions eu le cas d’une jeune femme qui était enceinte de 5 mois et qui se mariait en urgence le mois suivant. Elle exigeait d’essayer sa robe avec deux gaines taille S pour aplatir son ventre. Nous avons refusé catégoriquement. Elle expliquait que ça se faisait tout le temps, que ses amies avaient fait ça et qu’on y verrait que du feu. Nous n’avons pas pu l’aider et avons stoppé l’essayage, c’était impossible éthiquement parlant, cela mettait en danger la vie de son bébé. Ce sont des cas qui marquent et qui donnent à réfléchir.

Il vaut parfois mieux venir seule que mal accompagnée

Les rendez-vous pris durant la semaine étaient nos préférés. Ceux-ci pouvaient s’étaler sur plusieurs heures et étaient beaucoup plus cool. En effet, la semaine, les futures mariées venaient seules, à la pause-déjeuner, entre deux rendez-vous. En revanche le week-end, nous devions faire face à de véritables armées d’accompagnants. Une fois, une cliente est venue avec onze amies, c’était un enfer à gérer en termes d’organisation. Après cela, nous avons limité le nombre d’accompagnants à cinq. On devait trouver des sièges pour tout le monde, leur servir une boisson chaude et des petits chocolats, pendant que notre cliente se déshabillait… telle la déesse Kali avec plusieurs bras !


Si vous vous demandez qui décide vraiment de la robe d’une mariée, je vais vous le dire : dans 90% des cas, c’est la maman ! Ce sont elles qui l’offrent, donc ce sont elles qu’il faut séduire. Qu’elles soient présentes sur place, ou en Facetime, ou que la cliente lui envoie des photos pendant les essayages, c’est la maman qui a toujours le dernier mot. C’est donc elle qu’il faut séduire en premier lieu si on veut conclure la vente. Je me souviens d’attitudes parfois choquantes, d’amies vraiment malveillantes qui critiquaient leur amie pendant que cette dernière se changeait, ou qui parlaient devant nous, comme si nous faisions partie du décor. 

J’ai aussi appris que dans la culture asiatique, c’est le futur mari qui choisit et paye la robe de mariée de sa future épouse. Du coup, lorsqu’une future mariée asiatique venait choisir sa robe, c’étaient les rares fois que nous avions la présence d’un homme dans la boutique. Il faut dire que rares sont les frères, pères et meilleurs amis qui venaient avec les clientes ! J’explique cela dû à la tradition « le marié ne doit pas voir la mariée avant le mariage », mais pas seulement. En effet, si l’on attend encore que ce soit l’homme qui fasse sa demande dans notre société hétéro-normée, les femmes restent celles qui sont à l’origine de l’organisation de leur mariage. C’est un point de vue que j’ai pu également construire pendant mon expérience de wedding planner. Et en ce qui concerne le choix de leur tenue respective, j’ai remarqué que les femmes se font accompagner par des femmes de leur entourage et idem pour les hommes. Comme la préparation à l’enterrement de vie de jeune fille/garçon, le choix de la robe et du costume serait consciemment vécu entre personnes du même sexe, comme pour célébrer les derniers instants d’une vie de célibat.

Si ce job m’a amusé autant que fatigué physiquement, il m’a permis d’apprendre tellement de choses sur le mariage, ma conception de l’amour. En côtoyant au plus près les mariées et leur entourage, j’ai eu des révélations sur les différentes perceptions de l’Amour comme des déceptions. La certitude que j’ai désormais, c’est que les gens ne sont pas ce qu’ils prétendent être et que le mariage n’est pas une simple célébration de l’amour entre deux personnes. Et que personne n’est mieux placée pour comprendre l’enjeu de celui-ci qu’une vendeuse de robe de mariée. J’espère que ce second épisode vous a plu, pour le troisième et dernier épisode je passerai cette fois dans les vestiaires d’une salle de sport parisienne très branchée !