Image extraite de la série "Real Humans"

Il existe une théorie selon laquelle plus un objet ressemble à l’humain, plus l’humain s’y attache… jusqu’au moment où cet amour se transforme en effroi

Image extraite de la série "Real Humans"

Il existe une théorie selon laquelle plus un objet ressemble à l’humain, plus l’humain s’y attache… jusqu’au moment où cet amour se transforme en effroi horrifié. Cette théorie estampillée «la vallée de l’étrange», est-elle valable ? Pas forcément.

En 1970, un roboticien japonais appelé Masahiro Mori pose l’hypothèse selon laquelle le réalisme d’un robot peut le rendre monstrueux. Passé un certain degré de ressemblance, l’empathie qu’on éprouve pour lui laisse-t-elle place à la répulsion ? Pas forcément. Il semblerait qu’on s’habitue très vite à l’apparence ultra-réaliste de certains robots. La preuve avec le Geminoid. Son nom vient du latin geminus qui signifie «jumeau». Créé par le roboticien Ishiguro Hiroshi, directeur du Laboratoire d’Intelligence Robotique (IRL) situé à Osaka, Geminoid est une sorte de doppelganger officiellement élaboré dans le but de comprendre les mécanismes de l’interaction interpersonnelle : que signifie «rencontrer» quelqu’un ? A partir de quel moment avons-nous l’impression de n’être pas «seul-e» mais d’être deux ? Que pourrait-il arriver si la deuxième personne était… nous-même ?

2002 : première confrontation entre un humain et son double robot

Tout commence en 2002. Ainsi que le raconte Alex Mar –journaliste d’investigation et documentaliste– dans un extraordinaire article publié par la revue Wired, la première confrontation entre un humain et son double robota lieu lorsque deux petites filles de 5 ans se rencontrent. La première est humaine. La seconde un androïde. Elles portent la même robe jaune, la même coiffure. L’enfant fixe le regard éteint du robot qui lui ressemble. L’homme qui filme la scène est le père de la première, l’inventeur de la seconde. Hors-champ, Ishiguro demande : «Aimerais-tu dire quelque chose ?». La petite fille se tourne vers son père, désorientée, puis regarde le robot. «Parle-lui», dit-il. Elle ouvre la bouche et ânonne : «Bonjour». Le robot reste silencieux mais penche légèrement la tête. L’enfant, alors, ne dit plus un mot et se contente de fixer son double qui parfois cligne des yeux, parfois bouge de façon un peu artificielle. De longues minutes passent, en silence. Finalement, la petite fille annonce «Je suis si fatiguée» et fond en larmes. Fin de l’expérience.

Les robots servent-ils à faire pleurer des enfants ?

On peut trouver étrange qu’un père se soit servi de sa propre enfant pour mettre à l’épreuve la théorie de l’«uncanny valley». Ishiguro est-il un père sadique ? Non, répond Alex Mar. A l’époque où Ishiguro créé cet androïde, il n’est qu’un jeune chercheur isolé,subversif, réfractaire aux principes de précaution qui dominent la robotique. Au Japon, pour éviter de «faire peur», les robots sociaux ressemblent à des jouets ou des peluches inoffensives : surtout ne pas créer la répulsion des consommateurs potentiels avec des créatures trop ressemblantes ! Ishiguro risque sa carrière lorsqu’il crée son premier androïde. Il veut le faire de petite taille, ce qui suppose d’obtenir l’autorisation de parents qui confieraient leur enfant au laboratoire… Mais comment obtenir une telle autorisation, sachant que l’enfant devra passer plusieurs heures dans un cocon de plâtre, la tête prise dans une coque avec seulement deux petits tubes dans les narines pour respirer ? Ishiguro n’a pas le choix. Sa fille, Risa, est la seule personne dont il puisse fabriquer la réplique. Il demande à son épouse qu’elle accepte et qu’elle l’aide à rassurer leur enfant, lors de la prise d’empreinte, afin que celle-ci ne bouge pas lorsqu’il faudra l’enrober dans une gangue épaisse de styromousse et de bandes de gaze.

Ishiguro : le «nouveau créateur de Frankenstein»

La copie de sa fille est anatomiquement exacte. Sa femme lui confie des vêtements afin que le robot ne paraisse pas trop choquant. Malgré tout, l’androïde met mal à l’aise : l’enveloppe de peau en silicone est montée sur une machine à petit budgetqui l’anime de mouvements saccadés. On dirait un zombie. Bien qu’il évoque le mort-vivant, Repliee R1 (R pour Risa) auréole son créateur d’une aura de savant fou qui lui attire un nombre croissant de commandes et de fonds… Durant les années qui suivent, Ishiguro devient professeur à l’Université d’Osaka, obtient un budget gouvernemental pharaonique de 16 millions de yens et crée plus d’une trentaine d’androïdes dont il corrige l’aspect répugnant au moyen de micromouvements et d’indices vitaux (respiration, battement de yeux) qui simulent une «activité inconsciente». Battant en brèche la théorie de «la vallée de l’étrange», ses androïdes fournissent la preuve qu’on peut créer des copies d’humains qui ne fassent pas cadavres. On peut s’y attacher. Pour les rendre plus attachants, il les modèle d’ailleurs sur des beautés réelles (animatrice TV, actrice, mannequin de mode) puis les expose dans des cafés, des centres commerciaux et des Musées où ils suscitent inévitablement un mélange d’attraction et d’inquiétude. Ces androïdes sont si ressemblants… Mais à quoi servent-ils ?

«Je veux comprendre ce qu’est l’amour»

A cette question, Ishiguro répond au mieux par énigmes. Au pire, par boutades. «Je veux comprendre ce qu’est l’amour, dit-il à Alex Mar. Avant de mourir, j’aimerais en savoir plus.» Il s’avère que lorsque les robots (féminins) sont exposés dans des lieux publics, certaines personnes essayent de les peloter ou de les assaillir. «Les androïdes semblent démasquer les humains, explique Alex. Ils sont les révélateurs d’un désir parfois tenaillant pour la connection, pour le contact physique.» Les hommes aux regards plein de convoitise sont aisément repérables durant les présentations en public. On doit les surveiller. Mais même les jeunes chercheurs qui travaillent sur les robots peuvent succomber à d’étranges impulsions. Un jour, Ishiguro apprend qu’un de ses étudiants de l’Université de Kyôto, la nuit, se met à jouer de la flûte pour Repliee R1. Il lui fait la sérénade. Il lui parle. Dès qu’il se croit seul, il engage avec elle des petites conversations. Ishiguro déménage Repliee R1 à Osaka et interdit que le robot soit utilisé la nuit ou par une personne seule. Mais cela lui ouvre les yeux sur l’amour : en tant qu’humains «nous désirons un-e partenaire, dit-il. L’androïde s’offre potentiellement comme le miroir parfait de nos pensées, de nos aspirations.»

«Qu’est-ce que la connection ?L’autre personne n’est qu’un miroir»

Pour Ishiguro, l’amour est un réflexe déclenché par le sentiment d’être compris, c’est-à-dire reflété par l’autre. «La conversation n’est qu’une illusion, dit-il à Alex Mar. Je ne sais pas ce qu’il y a dans votre cerveau. Tout ce que je peux savoir c’est ce que moi je pense. Pour y arriver, j’ai besoin de dialoguer, mais le dialogue n’est qu’un moyen de mettre au clair ce que je pense.» En d’autres termes, dit Ishiguro : les humains parlent non pas pour comprendre l’autre mais pour se comprendre eux-mêmes. Nous restons des étrangers les uns pour les autres. Essayant de deviner ce que pense ou ressent l’autre, nous ne faisons souvent que projeter en fonction de nos grilles de lecture culturelles. «Qu’est-ce que la connection ?, demande Ishiguro. L’autre personne n’est qu’un miroir.» Pour Alex Mar, ainsi qu’elle le résume, Ishiguro, «est convaincu que les émotions humaines, qu’il s’agisse d’empathie ou d’amour, ne sont que des réponses à des stimuli». En faisant jouer ses joints pneumatiques, suivant des mouvements subtils calqués sur ceux de l’âme, l’androïde deviendra bientôt capable de combler nos besoins en «signaux» émotionnels. Pourrions-nous tomber amoureux de ce «trompe l’oeil métaphysique» ? «Peut-être oui, répond Alex Mar. Et qu’importe au fond, si cela remplit notre coeur ? Si cela paraît réel ?»

Plus aimants, plus émus : plus humains ?

Etant donné que l’amour entre humains relève (peut-être) d’une forme d’illusion, étant donné surtout que nous en avons besoin, pourquoi condamner l’émotion que pourrait susciter un robot ? Les besoins affectifs sont peut-être les plus importants de tous : pourquoi nous en priver ? Pourquoi ne pas créer des robots pour nous sentir plus aimants, plus émus, plus humains ? La suite de cette réflexion au prochain article.

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«Love in the time of robots», d’Alex Mar, Wired, 17 octobre 2017.

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L’âge d’or de la robotique japonaise, de Zaven Paré, éditions Les Belles Lettres, 2016.

REFERENCE : Le numéro de la revue Gradhiva «Robots, étrangement humains» (n°15, 2012), dirigé par Emmanuel Grimaud et Denis Vidal contient un article de Masahiro Mori, ainsi qu’un très bel entretien avec lui, mais surtout un discours critique par rapport à cette théorie et une remise en perspective de notre conception des «merveilles» anthropomorphiques.

L’EXPOSITION au Musée du Quai Branly «Persona, étrangement humain», montée en 2016 par par Emmanuel Grimaud et Anne-Christine Taylor-Descola (avec Thierry Dufrêne et Denis Vidal) portait également sur les frontières de l’humain et de l’inhumain. Un très beau catalogue a été publié en collaboration avec Actes Sud.