Retour sur un ouvrage de référence, à mettre entre les mains de toutes les personnes concernées de près ou de loin par la sexualité des femmes. Bref, tout le monde.
Retour sur un ouvrage de référence, à mettre entre les mains de toutes les personnes concernées de près ou de loin par la sexualité des femmes. Bref, tout le monde. “L’Origine du Monde”, de Liv Strömquist (Rackham Editions, 2014) compile, dans une BD humoristique et très bien documentée (références bibliographiques à l’appui), des faits et données encore trop méconnus sur le sexe féminin. Nous avons tous.tes quelque chose à y apprendre, depuis la forme réelle du clitoris jusqu’au tabou des règles et sa construction sociale, en passant par l’orgasme féminin et comment oublier le duel ancestral entre clitoridiennes et vaginales.
Est-ce que le sujet méritait vraiment une BD entière ?
Sans hésitation : oui. Parce qu’il est temps de redonner ses lettres de noblesse à la vulve et de nous éduquer sur le sujet. La connaissance est la 1ère étape vers des pratiques et des considérations plus épanouissantes.
Vous ne vous êtes jamais demandé.e.s pourquoi le sexe féminin n’a jamais bénéficié de la même popularité que le pénis ? Pourquoi seulement 65% des femmes hétérosexuelles atteignent l’orgasme régulièrement alors que pour les hommes c’est 90-95% (source Sondage IFOP, ici) ? Pourquoi au 21ème siècle, il est encore tabou et honteux d’avoir ses règles et de se balader avec un tampon à la main ?
Liv nous relate les origines sociales, et leur évolution à travers les différentes périodes historiques, de notre perception du sexe féminin (et de la sexualité de la femme, de ses règles, etc.), jusqu’à aujourd’hui où il nous reste encore bien des progrès à faire.
Liv Strömquist est une auteure suédoise à qui l’on doit plusieurs BD sur des questions sociales et féministes : “Les Sentiments du Prince Charles” (sur la construction des rôles genrés dans le couple) ou plus récemment “La Rose” (sur notre rapport à l’amour et au sentiment amoureux). En 2014, elle consacre son 2ème ouvrage au sexe féminin et nous permet alors de combler nos grandes lacunes sur le sujet.
Chatte, abricot, foufoune… en fait, c’est la vulve.
Vous l’appelez comment vous le sexe féminin ? La foufoune, la chatte, l’abricot ? Mais c’est quoi le vrai nom, le nom scientifique ?
Parce que j’ai toujours su comment s’appelle la partie qui est dédiée à la reproduction : les trompes et l’utérus, et j’ai toujours su nommer le passage entre l’extérieur et l’intérieur parce que je le checke au moins une fois par an chez le gynéco : le vagin. Mais toute la partie extérieure, celle que je stimule quand je me masturbe, ou que mon partenaire cajole de ses doigts ou de sa langue pour faire monter l’excitation (enfin, c’est mieux quand c’est bienfait)… Je ne connaissais pas son nom. Et au final, je me rends compte que je ne la nommais pas.
Mais depuis peu, on sait que cette merveilleuse huître s’appelle la vulve ! Merci à Liv de me l’avoir appris, en publiant sa BD en 2014. Et merci aux autres médias qui contribuent à utiliser le bon terme, comme Club Clitoris, Pussypedia, etc. Mais aussi nous !
Heureusement que les voix se multiplient car Liv nous explique que ne pas connaître et nommer la vulve pour ce qu’elle est, à savoir les parties extérieures du sexe féminin, c’est dissimuler l’existence même de ces parties externes (Harriet Lerner) et donc réduire le sexe féminin à ses parties reproductives accueillant le pénis (vagin, utérus, etc.). Une vulve qui ne saurait pas se faire oublier mais, au contraire, serait physiquement trop présente (avec des petites lèvres qui seraient grandes) va être source de gêne pour les femmes concernées. Dans certaines cas, ces femmes vont jusqu’à envisager, voire réaliser une nymphoplastie : une réduction chirurgicale des petites lèvres. Difficile de traiter ces sujets de façon sérieuse mais avec la bonne dose d’esprit et d’humour noir. En lisant la BD de Liv, vous constaterez pourtant que c’est possible.
Alors, comment ces femmes en sont arrivées à choisir volontairement une procédure aussi extrême que la nymphoplastie ?
C’était mieux avant ! Enfin, non… enfin, ça dépend des périodes.
Le sexe féminin n’a pas toujours été aussi mal considéré. Par exemple, alors que la vulve est cachée dans la grande majorité de nos représentations artistiques et médicales contemporaines, Liv nous explique qu’au paléolithique elle était non seulement représentée très visiblement, voire exagérément, mais aussi certainement sacrée et vénérée.
Idem pour les règles dont le pouvoir passe de « mystérieux et magique » à « toxique et néfaste. La femme réglée est impure, sale, le sang des règles est dévastateur.
Si ces croyances nous semblent absurdes, le tabou des règles qu’elles ont permis de créer depuis toutes ces centaines d’années lui est bien réel. En 2019, la nouvelle publicité Nana présentant des vulves dans toutes leur diversité (et des règles rouges !), mais toujours de manière poétique fait immédiatement l’objet de courriers demandant de retirer la publicité, jugée trop choquante. Le monde ne semble pas encore réconcilié avec nos vulves saignantes, signe pourtant de bonne santé.
Liz nous apprend qu’il fut un temps où les sexes masculin et féminin étaient représentés de manière quasi identique (mais pas égalitaire), le clitoris était par exemple considéré comme un pénis féminin. Mais au 19ème siècle, la différence entre les hommes et les femmes devient structurante dans la société. Les biologistes développent alors une obsession afin de confirmer cette différence par les sciences, devenant ainsi un instrument politique pour déterminer le rôle social des femmes, la religion n’exerçant plus cette fonction.
Heureusement, d’autres biologistes ont depuis réaffirmé qu’il n’existe qu’une seule et réelle différence biologique entre le masculin et le féminin : l’un produit de nombreux gamètes de petite taille (pour l’humain : les spermatozoïdes), alors que l’autre produit des gros gamètes en petite quantité (les ovules). Ce simple principe est très bien expliqué dans le podcast Les couilles sur la table : la vraie « nature » du mâle (ici).
Le sexe féminin a longtemps été défini par rapport au sexe masculin… Il est perçu comme un manque, un trou, un vide, un « non pénis ». Idée reprise par Sartre. Bref, comme on n’y comprend pas grand-chose, toutes les croyances sont acceptables et cette ignorance n’aide pas au bon déroulement de la sexualité féminine (désir, plaisir, orgasme).
La partie immergée du clitoris
Pour ce qui est du plaisir féminin et de sa place dans nos sociétés, l’avancée dans le temps n’a pas systématiquement été synonyme d’avancées tout court. Jusqu’à la fin des lumières, l’orgasme était considéré comme indispensable à la conception et donc bien plus recherché que de nos jours… Dans le meilleur des cas, l’orgasme est aujourd’hui trop souvent perçu comme optionnel pour la femme : l’éjaculation masculine continue à marquer la fin d’un rapport sexuel. Au pire, on accepte simplement que certaines femmes n’atteignent jamais l’orgasme (!!!) et qu’il s’agisse là d’une condition féminine, qui n’a absolument rien à voir avec le partenaire et ses pratiques.
Freud est celui à qui l’on doit la confusion entre orgasme clitoridien et orgasme vaginal. Non content de classifier les femmes, il décide également en 1905 que les filles immatures jouissent par le clitoris, alors que les femmes mûres jouissent par le vagin, satisfaisant par la même occasion leur tendre mari. Merci Freud !
Ce n’est que dans les années 60 pour que l’étude de Masters & Johnson démontre que c’est le clitoris qui est au cœur de la sexualité féminine (cf Masters of sex, la série) et non la pénétration. Résultat : nous croisons toutes à un moment de notre sexualité un ou plusieurs partenaires qui passent les préliminaires à enfoncer leur(s) doigt(s) systématiquement, profondément, et parfois bien trop rapidement dans notre vagin… Heu, et la vulve dans tout ça ? Tu ne les aimes pas mes lèvres et mon clitoris ?
Sans grande surprise, l’étude de la féministe Shere Hite révèle en 1967 que 2 femmes sur 3 n’atteignent pas l’orgasme par pénétration mais par stimulation externe du clitoris…
Et il faut attendre 1998 (facile à retenir, c’est la 1ère victoire des bleus à la Coupe du Monde de foot) pour qu’Helen O’Connell publie la toute première représentation exhaustive du clitoris : un gland, 2 bulbes, 2 racines. L’ensemble se gonfle lors de l’excitation sexuelle et rompt enfin avec le mythe des orgasmes clitoridiens vs. vaginaux.
OMG, les lèvres m’en tombent !
Si vous aviez déjà tout compris, lisez au moins “L’Origine du Monde” pour l’édifiante synthèse, présentée au 1er chapitre, des plus grands coups de projecteur dont a bénéficié le sexe féminin (et j’emploie le mot coup en toute connaissance de cause). Parmi tout ce qui a été dit, pensé et imposé sur le sujet (par les esprits les plus respectés de notre histoire), il faut retenir notamment :
- Que les femmes ne doivent pas le toucher (Kellogg). L’onanisme féminin, ou masturbation, était considéré comme la cause de tous les maux dont souffraient les femmes : cancer, folie, etc.
- Que pour guérir de nombreux maux dont la masturbation, il faut effectuer une clitorectomie, c’est-à-dire une ablation du clitoris (Dr. Baker Brown) plus connue sous le nom d’excision
- Qu’une excroissance (notre clitoris donc) est le signe du diable et de la sorcellerie, entraînant une nouvelle forme de chasse aux sorcières au 19ème siècle
- Que des petites lèvres trop grandes seraient le signe d’une sexualité et d’une intelligence bestiale (Cuvier)
- Que le sexe féminin est la représentation de la traîtrise universelle envers Dieu (Saint Augustin)
Merci Liv
Vous l’avez compris, je recommande chaudement la lecture de cette BD. Une fois que vous l’aurez lue, vous aurez sûrement envie de faire comme moi : l’offrir à tout le monde, dès qu’un anniversaire, un Noël ou un beau jour se présente.
Avant de lire “L’Origine du Monde”, je ne savais pas comment appeler toute la partie de mon sexe qui est dédiée au plaisir : ma vulve, dont le clitoris tient le rôle principal. Je vais réécrire cette dernière phrase pour bien insister sur l’importance d’acquérir ce savoir : je ne savais pas comment l’appeler ! Alors comment envisager pouvoir en discuter avec mon partenaire et trouver comment le stimuler au mieux ?
Cette lecture m’a également permise de prendre conscience du peu de place que l’on donne (y compris moi) à la sexualité féminine. Ce constat est indispensable, non pas pour se lamenter sur notre sort, mais pour nous motiver à nous éduquer toutes et tous un peu plus sur le sujet. C’est par là que les choses devraient continuer à changer dans le bon sens.
Enfin j’ai définitivement compris que le sexe, c’est aussi les préliminaires, et pas uniquement la pénétration du pénis dans le vagin. Pratique qui reste très favorable au plaisir et à l’orgasme masculin, et encore très défavorable à la femme et à son clitoris (organe du plaisir féminin). Comme souvent, c’est lorsqu’on inverse les rôles féminins-masculins que l’on se rend compte de l’absurdité des situations que l’on considère depuis trop longtemps comme normales, allant de soi, « naturelles ».