Image du livre d'art “Les Saintes de l'Abîme”, éditions Humus. (c) Elizabeth Prouvost

Dans la ville de Vezelay, où se trouve la tombe de Georges Bataille, une exposition lui est consacrée. Evénement

Image du livre d'art “Les Saintes de l'Abîme”, éditions Humus. (c) Elizabeth Prouvost

Dans la ville de Vezelay, où se trouve la tombe de Georges Bataille, une exposition lui est consacrée. Evénement rare, presque inouï, dans ce bourg qui n’a gardé de Bataille que l’image un peu négative d’un homme dissolu, soupçonné de sorcellerie… Mais pourquoi ?

Il existe en Bourgogne une petite ville haut perchée, à l’épicentre de forces invisibles dontGeorges Bataille a fait son fief : Vezelay… Wikipedia décrit ainsi le lieu : «renommée en raison de la basilique Sainte-Marie-Madeleine et de la colline classées au patrimoine mondial de l’humanité, elle est le point de départ de l’une des principales voies de pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. De grands écrivains du XXe siècle, comme Romain Rolland, Georges Bataille ou Jules Roy, ont habité sur la “colline inspirée”.» C’est sur cette mystérieuse colline que Bataille loue une modeste petite maison, où il vit pendant la guerre, où il retourne pendant 18 ans afin d’écrire ses principales oeuvres théoriques. C’est aussi à Vezelay qu’il est enterré (alors qu’il est mort à Paris, en juillet 1962). Et pourtant le bourg ne commémore sa mémoire que du bout des lèvres, comme à reculons. L’image scandaleuse de Bataille reste si forte encore qu’il a fallu plusieurs années avant qu’une exposition lui soit consacrée. Sous le titre Les Saintes de l’abîme, elle se déroule cet été jusqu’en septembre.

La part maudite de Vezelay

A la Maison Jules Roy qui abrite cette exposition, on a exigé qu’une des oeuvres soit recouverte d’un coffrage réservant aux plus courageux-ses la vision d’un sexe nu. Bataille aurait certainement été ravi, tant cette censure apparente l’oeuvre problématique à un autel… L’exposition regroupe des photos d’Elizabeth Prouvost, grande adepte de Bataille, sous le titre «Les Saintes de l’abîme». Elle a été montée par Christian Limousin, poète, critique d’art, spécialiste de Bataille et ardent défenseur de sa mémoire dans la région. «Christian Limousin habite lui-même tout près de Vézelay, raconte Elizabeth Prouvost. Il est un lecteur inconditionnel de Bataille et consacre une grande partie de sa vie à rétablir la «présence» de Bataille à Vézelay.» Jouant les guides, Christian Limousin n’hésite en effet jamais à faire visiter Vezelay aux amateurs en «pèlerinage». En 2007, notamment, il fait découvrir les lieux à une journaliste (Catherine Pont-Humbert) qui consacre une émission radio formidable à Bataille (1). Il lui raconte : «Vézelay, c’est l’endroit où on ne parle pas spécialement de Bataille. Il reste la part maudite du bourg. Il continue finalement de le dynamiter.»

Le café des Six Fesses

De fait, la maison où Bataille a vécu ne comporte qu’une plaque minimaliste : «Ici vécut Georges Bataille, écrivain (1897–1962)». Ce lieu revêt pourtant une grande importance dans la vie de Bataille. Tout commence en en pleine guerre. L’ex-bibliothécaire (2), gravement malade, cherche un refuge. «Il arrive ici à la suite d’une longue errance à travers la France». Après la Normandie et le Cantal, «il arrive donc ici [dans l’Yonne] en mars 1943 pour soigner sa tuberculose. Il rejoint toute une colonie d’intellectuels qui s’était réfugiée à Vézelay, pensant qu’on y mangeait mieux qu’à Paris, parce que le ravitaillement était sur place, finalement, et que les allemands étaient moins présents là qu’ailleurs.» Comme par un fait exprès, la maison se situe dans la rue qui conduit à la basilique de Vezelay. «C’est la rue Saint-Étienne du nom de l’église du bas du village. Bataille habite à peu près au milieu de cette montée, place du grand puits, un puits qui n’a jamais eu d’eau, dit-on.» A l’angle de cette rue, en montant, il y avait (il y a toujours d’ailleurs) «un café qu’autrefois on appelait les Six fesses parce qu’il était tenu par trois vieilles filles.» Bataille en fait son QG : «c’est de là qu’il pouvait téléphoner à Paris, lors de la création de Critique pour être en communication avec Pierre Prévost, son rédacteur en chef».

Les reliques de Marie Madeleine

Si Bataille a mauvaise presse à Vézelay, ce n’est cependant pas à cause de ce café… C’est à cause de ce qui se trouve plus haut dans la rue : la basilique Marie Madeleine. Il s’y rendait régulièrement, la faisait visiter à ses amis de passage. Ce «sommet» de l’art roman contient parmi les plus belle sculptures du 12 siècle, notamment celles de la luxure et du désespoir, au réalisme grotesque, et celles de multiples démons aux postures outrancières. Dans la crypte reposent les reliques de sainte Marie-Madeleine. Fait inouï : alors que la basilique est fermée, Bataille en obtient les clés. C’était «quand même un bibliothécaire de la Nationale, un haut fonctionnaire pour les gens du coin, raconte Christian Limousin. Et donc, à un moment, il hérite des clés ou des doubles des clés. Et c’est là que commence un certain mythe vézelien, assez tenace, sur Bataille organisateur de messe noire : puisqu’il avait les clés, il ne pouvait, compte tenu des ses écrits, qu’organiser des messes noires dans l’imaginaire local.» Bataille lui-même aimait noircir le tableau concernant sa vie de débauche. Son goût pour les monstres et les ténèbres (sans oublier son activité au sein de la société secrète Acephale) ne pouvait que nourrir la légende. L’exposition ne va certes pas contribuer à faire de Bataille un saint…

Pourtant, Bataille se définissait comme un saint. «Un saint, peut-être un fou», mais pourquoi ? La suite au prochain article.

.

EXPOSITION : Les Saintes de l’Abîme, photographies d’Elizabeth Prouvost, du 20 juillet au 2 septembre, Maison Jules Roy.

LIVRE D’ART : Les Saintes de l’Abîme, photographies d’Elizabeth Prouvost, accompagnées de textes de Christian Limousin, Véronique Bergen, et du fac-similé d’un poème écrit par Claude Louis-Combet, éditions Humus, 2018.

NOTES

(1) L’émission «Une vie Une oeuvre» (1h27) du dimanche 3 juin 2007. On peut l’entendre ici et la retrancription des propos (Pauvert, Surya, enregistrements d’entretiens avec Bataille, etc) est ici.

(2) Nommé bibliothécaire au Département des Médailles de la Bibliothèque nationale en 1924, Bataille doit quitter son poste pour des raisons de santé (Source : Pileface)