Crédit photo Sven-Kåre Evenseth (CC BY-NC-ND 2.0)
Parmi les discours qui se réclament de la biologie à propos des comportements sexuels humains, celui qui accorde un rôle de premier plan aux phéromones dans l’attirance sexuelle n’est pas le moindre. Pourtant, il n’y a toujours pas consensus entre les scientifiques pour considérer non seulement qu’elles joueraient un rôle, mais même que l’espèce humaine en produirait.
Qu’est-ce qu’une phéromone ?
C’est en 1959 que le biochimiste Peter Karlson et le zoologue Martin Lüscher ont proposé le mot de « phéromone » pour désigner une classe de substances biologiquement actives présentant des ressemblances avec les hormones, mais ne pouvant toutefois être incluses parmi celles-ci. Ainsi, si les hormones comme les phéromones sont produites par des glandes, les premières transmettent un message chimique à des cellules internes à l’organisme, tandis que les secondes transmettent un message chimique à d’autres individus de la même espèce. Cette différence essentielle entre les hormones et les phéromones tient à leur mode de production : par des glandes endocrines (qui sécrètent des substances directement dans la circulation sanguine) pour les hormones ; par des glandes exocrines (qui sécrètent des substances destinées à être évacuées de l’organisme vers le milieu extérieur) pour les phéromones.
Pour résumer, les hormones ont un rôle de régulation du métabolisme, tandis que les phéromones influencent la physiologie (chez les abeilles, la production phéromonale de la reine inhibe l’activité ovarienne des ouvrières) ou le comportement, notamment sexuel, d’autres individus de la même espèce.
Quelles sont les propriétés des phéromones ?
Cinq critères sont généralement retenus pour qualifier une phéromone : 1) la simplicité du signal chimique ; 2) une réponse comportementale au stimulus qui ne varie pas et dont la fonction apparaît de manière évidente ; 3) une réaction quasi-exclusive (sélectivité élevée) dans le couplage stimulus-réponse (pas ou peu de réactions « parasites ») ; 4) une réponse propre à l’espèce ; 5) l’absence d’apprentissage dans le couplage entre le stimulus et la réponse.
Les phéromones déclenchent donc des comportements stéréotypés, prédéterminés et très « cadrés » qui ne sont pas le fruit d’un apprentissage, et qui sont déclenchés au sein d’une même espèce animale (et non d’une espèce à une autre).
Comment sont détectées les phéromones ?
Chez les insectes, les phéromones sont généralement détectées par les antennes. Chez les vertébrés, et plus particulièrement chez les mammifères, elles sont perçues par un système olfactif dit accessoire, constitué d’un organe appelé voméronasal, situé au niveau de la cloison nasale qui sépare les narines (septum nasal). Ce système olfactif se distingue du système olfactif dit principal, qui lui capte les odeurs.
Les phéromones sont-elles des odeurs ?
Cette distinction entre les systèmes olfactifs met en évidence que, contrairement à la représentation communément répandue, les phéromones ne sont pas des odeurs. La confusion est pourtant régulièrement faite, y compris par certains scientifiques. Sa localisation au niveau du nez n’y est pas pour rien. De plus, le fait même de parler de l’organe voméronasal comme de l’élément principal d’un système olfactif tend à entretenir cette confusion. Mais si l’olfaction est communément associée à l’odorat, elle désigne le fait de capter des molécules volatiles, ce que sont aussi bien les molécules odorantes que certaines molécules phéromonales (d’autres composés phéromonaux ne sont pas volatils et se transmettent par exemple par contact).
Quid des phéromones et de l’organe voméronasal chez l’être humain ?
La question des phéromones chez l’être humain, en particulier sexuelles, est controversée à plus d’un titre : 1) sur la présence d’un organe voméronasal qui fonctionne ; 2) sur les réponses comportementales stéréotypées non acquises ; 3) et sur la production même de phéromones et les substances que l’on définit comme telles.
Les études scientifiques menées pour localiser l’organe voméronasal chez l’être humain conduisent globalement à considérer que celui-ci n’est présent qu’à l’état de vestige et qu’il ne fonctionne pas. En particulier, des gènes codant pour les récepteurs des phéromones se sont révélés inactifs (chez l’être humain en particulier, mais aussi chez d’autres vertébrés). De plus, les faisceaux nerveux assurant la liaison neuronale entre l’organe voméronasal et le cerveau sont absents. Ceci a conduit certains scientifiques à faire l’hypothèse d’une perception des phéromones par le système olfactif principal, et à rapprocher ainsi les phéromones des odeurs. Une telle hypothèse nécessite cependant de procéder à plusieurs entorses concernant la définition des phéromones.
Assez peu d’études sur les phéromones portent en réalité sur l’être humain, et beaucoup d’hypothèses à propos des comportements humains sont extrapolées d’études sur d’autres espèces animales (insectes, lapins, souris…). Mais les quelques-unes qui ont voulu tester des hypothèses sur l’être humain n’ont pas pu établir que de supposées phéromones provoquaient des comportements stéréotypés et prédéterminés. Au mieux a-t-on pu observer des variations de l’humeur au sein de petits groupes (10 à 30 personnes), non uniformes et attribuées par hypothèse à la perception d’une hormone stéroïdienne (alors que les phéromones sont censées désigner des molécules qui ne peuvent être ramenées à des hormones), sans pouvoir assurer que ces variations n’étaient pas dues à d’autres facteurs.
Au final, c’est la production même de phéromones par l’être humain qui n’est pas avérée. Si la présence de vestiges d’un organe voméronasal peut conduire à faire l’hypothèse que l’espèce humaine a pu en produire à un certain stade de son évolution, aucune substance chimique répondant à la définition d’une phéromone et regroupant les propriétés de celle-ci n’a été identifiée chez l’être humain d’aujourd’hui. Le glissement vers des hormones stéroïdiennes et des odeurs — par ailleurs captées par les autres espèces — pour maintenir l’hypothèse d’une action phéromonale chez l’être humain ne fait que mettre en évidence que l’existence d’un complexe phéromonal humain fonctionnel, conforme à ce que le terme de « phéromone » est censé désigner, n’a pu être attesté.
En revanche, le rôle des odeurs sur l’état psychologique, et notamment sur l’attirance sexuelle, semble avéré. C’est le cas d’odeurs associées à des hormones stéroïdiennes, mais aussi des parfums artificiels, qui peuvent provoquer le désir ou la répulsion. Mais d’une part les ressentis et réactions varient d’une personne à l’autre, et d’autre part les odeurs ne sont qu’un facteur parmi bien d’autres qui entrent en ligne de compte dans les attirances ou répulsions sexuelles. Comme le rappelle la biologiste Patricia Nagnan-Le Meillour, chez l’être humain « le choix du partenaire est fortement conditionné par l’appartenance à une classe sociale ou par d’autres pressions d’ordre sociologique, laissant peu de part à l’attraction via des signaux chimiques, même s’ils ne peuvent être totalement niés ». A ceci s’ajoutent des facteurs psychologiques qui nous portent vers des partenaires avec lesquels vont être répétées des problématiques psychiques et des modalités relationnelles acquises. L’attraction sexuelle humaine déterminée par des phéromones ne semble donc bien, finalement, n’être qu’un mythe.
Pour aller plus loin : « La controverse de l’attirance sexuelle par les phéromones chez l’être humain »