C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes à la grimace : sur Twitter, on assiste aux complaintes de garçons réactionnaires qui voudraient que les femmes n’aient aucune
C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes à la grimace : sur Twitter, on assiste aux complaintes de garçons réactionnaires qui voudraient que les femmes n’aient aucune expérience sexuelle, ou alors avec un seul homme. Je vous passe les insultes, l’inversion systématique du principe de causalité, ainsi que les arguments fondés sur l’étude des campagnols. Ou des mouches. Voici une remise à l’honneur des femmes expérimentées :
- Tout d’abord, une remarque simple : toutes les sexualités sont en mouvement, tous les rapports au désir sont des trajectoires. Même une personne qui resterait vierge toute sa vie va évoluer (fera des rêves érotiques différents, découvrira une nouvelle zone érogène, etc). Une femme prude peut se transformer en déesse orgiaque, de même qu’une libertine peut se transformer en oie blanche. Ces embranchements sont solidement documentés. Nous passons par des phases de sexe intense et expérimental, avant de nous ranger, avant de taper la crise de la cinquantaine, avant de nous ranger à nouveau… Il n’y a aucune régularité dans nos sexualités. Il n’y a donc aucun destin, aucune fatalité. Si vous rencontrez une femme qui a eu mille amants, ça ne vous empêche pas d’être le dernier. Ni d’être l’amant 1001 sur un total à venir de 97096785. Vous ne savez pas. Il faut essayer pour savoir. Le plus sage reste donc de trouver une femme qu’on aime, désire, admire sincèrement. Le reste est hors de contrôle. (Pouvez-vous accepter que ce soit hors de contrôle ? Là est la question.)
- Une femme expérimentée a peut-être connu de meilleurs amants que vous. Va-t-elle se moquer ? Pleurnicher ? Attendre ? Nope (je rappelle qu’elle est expérimentée). Comme elle n’a aucun intérêt à baisser ses propres standards de plaisir, elle va vous transformer en meilleur amant. Cette upgrade se fera de manière tellement subtile et inconsciente que ni vous, ni elle, ne la remarquerez.
- Un homme qui demande à une femme de n’avoir aucun passé sexuel refuse de pouvoir apprendre des choses nouvelles : c’est lui qui enseigne (il sait déjà tout). Ou alors, il estime qu’il n’y a rien à savoir, que la sexualité ne demande aucune compétence (ça vend du rêve). Personnellement, face à cet amant-là, je reprends immédiatement ma grille de mots croisés.
- Il est aussi possible que cet homme exigeant préfère que l’apprentissage se fasse ensemble. D’accord ! Mais est-ce un critère tellement important qu’il faudrait rejeter une partenaire potentiellement formidable ? Si on tombe amoureux d’une femme expérimentée, faut-il détomber amoureux, se priver de la relation entière simplement pour préserver l’idée d’un apprentissage mutuel du sexe ? Je veux bien. Mais si c’est le cas, entre la femme expérimentée et l’homme novice, ça n’est pas elle qui est obsédée sexuelle…
- On ne peut pas demander à une femme de n’avoir aucune expérience sexuelle et d’être immédiatement douée, à l’aise avec son corps, connectée à son plaisir, techniquement compétente. C’est comme l’omelette, ça s’apprend. Du coup, je me méfierais toujours d’un homme qui exige la virginité ou l’inexpérience : ça signifie qu’il n’est pas un jouisseur - non seulement il n’aime pas que le corps des femmes ait une existence propre, mais il se dénie à lui-même de futurs plaisirs. J’appelle ça un mauvais coucheur.
- Je me méfierais aussi de quiconque cherche à imposer ses standards de sexualité à une personne qui n’a pas d’expérience directe pour comparer. Contractuellement, ça ne tient pas la route.
- Si l’homme exigeant possède lui-même une expérience sexuelle, quelles femmes la lui ont apportée ? Des femmes qu’il ne respectait pas ? Quel genre d’homme couche avec des personnes qu’il ne respecte pas ? Peut-on se respecter soi-même quand on couche avec des personnes méprisables ? Du coup, pourquoi diantre une femme équilibrée irait-elle s’engager auprès d’un homme qui ne se respecte pas ?
- Une femme expérimentée sexuellement, a priori, sait se protéger + protéger ses amants, au niveau physique comme au niveau psychologique. Coucher avec elle (tomber amoureux d’elle) n’implique aucun risque supplémentaire. (Je serais curieuse d’entendre ces mêmes arguments “risque zéro” associés au code de la route : monteriez-vous plutôt dans la bagnole d’un djeunz qui a passé son permis après 20 heures de pratique, ou dans celle d’un routier accompli ? Qui est plus responsable sur une départementale bordée de platanes : la personne qui n’a jamais eu d’accident, ou la personne qui en a déjà eu ?)
- Non, le vagin ne se détend pas. Et s’il fallait vraiment en arriver à ce genre d’arguments, une femme expérimentée sera plus susceptible d’avoir croisé sur sa route des exercices de musculation du périnée (vous ne pouvez pas savoir sans essayer).
- Une femme expérimentée saura comment gérer la débandade, les performances misérables, les premières nuits alcoolisées, les petites douleurs, les infections et les fiascos. C’est-à-dire que tous les embêtements potentiels deviennent moins graves. L’expérience ne fait pas qu’augmenter le plaisir : elle diminue les frictions. Si j’étais un homme trouillard (genre, à ne pas supporter un passé sexuel), je préférerais m’assurer que quelqu’un va pouvoir rattraper les situations embarrassantes.
- Tout le monde vous juge sur votre passé. Mais quand on a connu beaucoup d’hommes, ce jugement est infiniment plus empathique. Une femme vierge vous compare avec des idéaux. Une femme expérimentée vous compare avec des personnes.
Enfin. Je rappelle que les hommes ont également un passé sexuel, qui a également des conséquences, et que chaque argument utilisé contre la libération des femmes sera utilisé contre la libération des hommes : si les réactionnaires assimilent les femmes expérimentées à des putes irrécupérables (les putes apprécieront), alors eux-mêmes devraient prendre soin de planquer leur passé sexuel, parce que ces mêmes femmes assimileront les hommes expérimentés à des queutards irrécupérables et imbaisables. Ce qui est valable pour la “vertu” féminine n’est aussi pour la vertu masculine. Nous sommes en 2018. Les néo-conservateurs peuvent argumenter autant qu’ils le veulent : s’ils établissent des règles, elles sont valables pour tout le monde ou pour personne. Il n’y a pas de double standard. Si je ne peux pas fricoter, toi non plus.