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Plus moyen de complimenter une femme dans la rue ! (Bon, enfin... comme le montre le hashtag #FemmeAprèsMetoo : ça continue comme avant, sauf que tout le monde est au
Bref. Comme chacun sait, "on peut plus rien dire". J'aimerais qu'on s'interroge sur cette curieuse liberté que nous avons apparemment perdue : par exemple, personnellement, je n'ai jamais particulièrement disposé de la liberté de commenter l'apparence des gens dans les lieux publics. Si je dis à un homme qu'il a un beau petit cul et que j'aimerais lui péter les pattes arrière, j'ignore s'il va répondre "merci" ou me retourner une droite (dans le doute et dotée d'un solide instinct de survie, je m'abstiens).
Les hommes qui ne peuvent plus rien dire (mais le disent quand même) ne parlent que d'un seul type de discours : le compliment, le sifflement, la proposition sexuelle. Ils disent quand même rarement aux moches qu'elles sont moches, aux vieux qu'ils sont vieux, aux nains qu'ils sont petits, ou aux personnes en fauteuil qu'ils/elles n'ont pas de jambes. Il existe un million de commentaires physiques qu'on se passe parfaitement de proférer, hommes ou femmes, depuis la nuit des temps : il existe des tonnes de silences et d'interdits avec lesquels on vit très bien.
Quand les hommes concernés disent qu'ils ne peuvent plus rien dire (ce qui reste paradoxal, comme formule, vous l'admettrez), il faudrait se demander pourquoi face à la beauté ou à l'attirance, ils semblent être incapables de se taire. Pourquoi ils comprennent les autres omertas sociales mais pas celles-ci. Et clairement, il y a un bénéfice à la clef... pas celui de choper, non. Puisque ça ne marche jamais. Vouloir choper est une excuse, mais si les harceleurs voulaient sincèrement séduire, ils ne se comporteraient pas comme ça, encore moins dix mois après metoo : en l'état actuel du débat, commenter dans la rue est sans doute le meilleur moyen d'être sûr de ne jamais choper.
Non, le bénéfice est ailleurs, plus intime, traduisant des vulnérabilités plus profondes : le commentaire sur la beauté est la seule manière non-risquée d'affirmer son droit à commenter un parfait inconnu dans la rue, c'est-à-dire se placer en position de juge, de supériorité, en réaffirmant qui de l'homme ou la femme regarde et est regardé - qui se soumet au jugement, plus précisément qui est soumis au jugement. Il ne s'agit pas dire qu'une femme est belle. Il s'agit de pouvoir donner son opinion sur elle d'une manière agressive, insistante et souvent humiliante, sans qu'elle puisse répondre (sous peine de se faire potentiellement taper dessus, comme l'a montré l'actualité : le fait qu'elle ne puisse pas répondre fait partie du power trip).
Parce que, soyons réalistes trois secondes. Si "t’es bonne" etait un compliment, les hommes ne se battraient pas à ce sujet. Ils ne diraient pas "tu manques de respect à ma meuf". Ils ne diraient pas "ça pourrait être ta soeur". S’il était flatteur d’être jugée, ils laisseraient faire - ils tireraient même une immense fierté du fait que leur nana soit déshabillée du regard devant eux. Les rues seraient remplies de conversations de type : "ouaou, ta copine a des seins crémeux comme des îles flottantes, j'en ferais bien mon goûter" - "je sais, j'ai vraiment trop de chance" - "je lui boufferais bien les fesses" - "merci, mec".
C'est comme l'argument du "je voulais juste dire bonjour" : comment ça se fait que tous ces hommes qui veulent dire bonjour, ne disent jamais bonjour aux hommes, jamais aux couples, jamais aux enfants ? Apparemment, ce silence-là, cette impolitesse-là, sont parfaitement acceptés.
"On ne peut plus rien dire" ne nous renvoie nullement à une liberté préexistante et formidable - nous n'avons jamais pu tout dire, et même s'agissant de compliments, nous n'avons jamais pu complimenter tout le monde, tout le temps. (Nous avons même plutôt bien cadré la société de manière à ce que nous nous fichions mutuellement la paix.) Ces jérémiades sont hypocrites et polluent le débat. Pire encore, ces arguments (il faut le dire vite) sont, comble du ridicule, des non-dits posés sur les vrais problèmes. Si les harceleurs veulent récupérer leur pouvoir de nuisance, il va falloir faire mieux que ça. Mais bon, si la communication ou la politesse avaient jamais été leur fort, ça se saurait.