Etrangement, l'étude n'avait jamais été menée jusqu'à présent : vérifier la théorie voulant que la pornographie devienne de plus en plus agressive – soit pour attirer plus d'attention, soit par une

Etrangement, l'étude n'avait jamais été menée jusqu'à présent : vérifier la théorie voulant que la pornographie devienne de plus en plus agressive – soit pour attirer plus d'attention, soit par une anesthésie progressive de notre empathie, soit parce que les spectateurs se lasseraient et glisseraient vers des contenus plus hard (comme pour la drogue, il faudrait des sensations plus fortes pour retrouver l'excitation initiale). Des chercheurs ont donc attrapé presque 300 vidéos parmi les plus populaires sur Pornhub, ainsi que des vidéos aléatoires pour comparer, et ont vérifié 1) si effectivement les actes étaient plus violents, 2) si ces vidéos spécifiquement étaient plus appréciées des spectateurs. A cette fin, les contenus ont été triés entre actes agressifs, non-consentement et vidéos dont le titre mentionne la violence.

Or donc ! La représentation de pratiques sauvages a plutôt tendance à décroître légèrement depuis 2008. Mieux encore : cette représentation s'accompagne de plus en plus, dans la même vidéo, de tendresse et de jouissance, et le temps occupé par l'agression diminue (de 13% à 3% de la temporalité totale). Enfin, les spectateurs ne favorisent pas ces vidéos, et ne « likent » pas le viol : ils préfèrent les vidéos où les femmes prennent du plaisir.

C'est le moment où on se dit : ha, génial, l'auto-régulation du marché a fonctionné, l'humanité est sauvée, woohoo. Sauf que même en petite baisse, on reste sur des chiffres qui font grincer des dents : 40% des vidéos contiennent des actes agressifs, à quoi l'on ajoutera 12% de non-consentement et 10% de vidéos explicitement agressives. Les spectateurs n'approuvent pas les vidéos de non-consentement ? Certes, mais ça peut aussi signifier qu'ils aient la trouille de la manière dont leurs préférences pourront être utilisées : en 2008 on parlait quand même nettement moins de pillage des données à grande échelle, ou de crimes résolus via justement le profil Internet d'une personne. Evacuons aussi une vision victimisante des choses : puisqu'on sait désormais que les femmes elles-mêmes sont de grosses consommatrices de hardcore, il n'est pas question de jeter la responsabilité sur les hommes en général. D'ailleurs ça n'est pas la faute de nos contemporains si l'imaginaire de la violence est si omniprésent : nous en avons hérité depuis des millénaires. A ce titre, nous ne manquons pas de moralité à cause de cet héritage (on n'a rien demandé), mais uniquement parce que nous y cédons au lieu de changer de paradigme (ce changement se révèle encore plus urgent quand on est potentiellement la victime de ces actes – ce sont très majoritairement les femmes qui se font taper ou humilier dans ces vidéos).

Il est déjà suffisamment nul que nous ayons à nous coltiner les névroses des ancêtres, leur tendance à se vautrer dans le fatalisme, leur goût de la dégradation et de la contrainte, sans parler de leur essentialisation de faits culturels (« c'est pas notre imaginaire qui est sournois, c'est les femmes qui aiment se faire taper dessus, c'est dans les chromosomes » - ah, mais arrête, papi). Il serait encore plus nul qu'à la lumière des débats qui agitent notre société, on soit EN PLUS infichus de calmer notre goût du sang. Les lignes bougent, mais la grande remise en question de la pulsion d'agression n'est pas actée. Au boulot !