(Ohlà, camarades, ceci est l'épisode 2 d'une série sur la post-pornographie... suite à une conférence que j'ai donnée à Bruxelles. On continue le tour des basiques.)

Qu'est-ce que la pornographie ?

(Ohlà, camarades, ceci est l'épisode 2 d'une série sur la post-pornographie... suite à une conférence que j'ai donnée à Bruxelles. On continue le tour des basiques.)

Qu'est-ce que la pornographie ? Répondre à l'éternelle interrogation érotisme vs. pornographie – ou même considérer que cette question a la moindre pertinence – prendrait soixante-douze heures et une armée de juristes, artistes, philosophes, évitons le débat d’experts et restons-en donc au cliché le plus éculé (mais pas forcément hors de propos) : la pornographie est un support à vocation masturbatoire. Ça, c’est de la théorie. Parce que bien sûr, il y a plein de supports masturbatoires - ça pourrait inclure les rêveries érotiques, une paire de talons-aiguille ou des bouquins olé-olé.

En vrai, l’immense majorité de ce qu’on qualifie de « porno » est composé de séquences courtes, accessibles sur Internet, explicites, réalisées plutôt par des hommes, pour des hommes, plutôt hétéros.

Comme on continue à produire toujours plus de pornographie, et que l’ancienne pornographie reste accessible, on a de plus en plus de contenu, de plus en plus de variété, et de plus en plus de niches, c’est mathématique. MAIS. Ça ne veut pas dire qu’on regarde des choses différentes. En fait, au contraire. A cause des algorithmes qui font remonter sur les pages d’accueil les vidéos et les mots-clefs les plus populaires, on a l’impression de toujours voir les mêmes choses. On a plus de choix, mais accéder à ce choix demande un effort que la plupart d’entre nous n’avons pas envie de fournir quand nous avons le pantalon sur les chevilles. Du coup, la pornographie est associée à la libération sexuelle, mais quand on tombe 99%% du temps sur des corps parfaits et sur des fantasmes d’hommes, il faut se demander qui on libère. Et à quel prix.

D’ailleurs, plus grand-monde aujourd’hui ne considère la pornographie mainstream comme hyper libératrice. Ni les consommateurs, ni les personnes travaillant dans le porno et qui sont les premières à dire que le contenu est de plus en plus dur, qu’il faut accepter des pratiques plus difficiles, douloureuses, éventuellement dégradantes, pour survivre. Entre la censure qui commence à vraiment poser souci en Angleterre et aux Etats-Unis, les drames des contaminations au VIH et les violences sur les plateaux, le moins qu’on puisse dire, c’est que les infos qui remontent du terrain sont assez dramatiques. Les années Hot D’Or au festival de Cannes sont vraiment derrière nous !

Ce qui fait la force de la pornographie, c’est son exploitation hyper rigoureuse de la pulsion scopique - c’est-à-dire de l’oeil. Je vous passe le point société du spectacle, mais nous sommes des créatures hyper visuelles. En tout cas, ça marche. Les scientifiques, quand ils veulent explorer le désir humain, font regarder des images à leurs cobayes – ils ne leur lisent pas la météo, ni même des livres érotiques.

Mais ce qui fait cette force, fait aussi sa faiblesse. Parce qu'à un moment, as grand-chose. Nécessairement, on atteint un mur. Des exemples  :

- L’invention des godemichets avec caméras et lampes intégrées - qui permettent de montrer les pénétrations de l’intérieur.

- L’imagerie cérébrale, qui permet de visualiser un orgasme.

Dans les deux cas, on montre la réalité du rapport sexuel, son authenticité, jusqu’à l’intérieur. Le contrat pornographique est rempli. En apparence. Et pourtant ça ne marche pas. C’est toujours un écran. On reste sur une expérience extérieure. Le X nous demande de nous toucher... mais il ne nous touche pas. Ou pas vraiment. C’est un problème d’autant plus incontournable que nos corps sont finis. On ne peut pas indéfiniment rajouter des orifices et des partenaires et des litres et des litres de semence, ça devient absurde. Soit on devient totalement irréaliste et la promesse de «vrai sexe» ne fonctionne plus, soit on reste réaliste, mais on accepte que dans un paradigme purement visuel, l’obscène a une fin… sauf si on commence à changer certains éléments fondamentaux, et c'est exactement ce que propose la post-pornographie. Dont je vous parlerai à l'épisode suivant :)

(Désolée de découper comme ça, mais sinon, on n'en sortira pas.)