Comme expliqué lors de l'épisode précédent de cette série, la pornographie n'est pas omnipotente, nous assistons donc (logiquement) à l'émergence de ce qu'on appelle la post-pornographie. Cette dernière va subvertir

Comme expliqué lors de l'épisode précédent de cette série, la pornographie n'est pas omnipotente, nous assistons donc (logiquement) à l'émergence de ce qu'on appelle la post-pornographie. Cette dernière va subvertir le côté « grosse machine industrielle » de la pornographie, pour nous impliquer, pour nous secouer, pour nous sortir d’un rôle d’éponge vautrée sur le canapé. Cette subversion va prendre place sur le fond, et/ou sur la forme, dans l’intention, et dans l’expression.

Je reprends ma définition préalable (vous pouvez scroller vers le bas pour retrouver l'article précédent) : la pornographie est un passe-temps masturbatoire composé de séquences courtes, accessibles sur Internet, explicites, réalisées plutôt par des hommes, pour des hommes, plutôt hétéros.

-> La post-pornographie va parfois sortir d’une intention masturbatoire, pour laisser place à la découverte de soi, à la rêverie.

-> Parce qu’elle sort des circuits des plateformes gratuites, vous trouvez des formats longs. Ou des gifs animés qui prolongent un moment très court à l’infini.

-> Ces formats ne sont pas toujours vidéo, pas toujours accessibles sur Internet. Quand les performances ont lieu en public, ça signifie que la masturbation ou l’excitation sortent de l’espace privé. Et si vous êtes présents, ça veut dire qu’éventuellement vous serez regardé autant que vous regarderez.

-> La post-pornographie questionne quelle représentation de la sexualité est légitime artistiquement. Pourquoi un contenu est de l’art et l’autre du cochon. La post-pornographie n’est pas d’accord avec les catégories parfois arbitraires de ce qui est pornographique ou pas.

-> Ces contenus peuvent laisser plus de place à la sensualité qu’à l’explicite.

-> Les femmes sont de grandes productrices, et elles s’adressent volontiers aux femmes, et tous les assemblages d’orientations et préférences sexuelles sont les bienvenues. La post-pornographie embrasse le queer, le bizarre, le pas conforme. C’est évidemment super politique, parce qu’on conteste ce qui est censé être le beau, le bon, le bien, le désirable, on conteste quelle pénétration est excitante ou pas, quel type de morphologie est légitime comme objet de désir.

-> Elle embrasse non seulement tous les corps (y compris par exemple des corps vieux, gros ou non-valides), mais aussi toutes les manières dont on a de vivre dans son corps - ça n’est pas que du génital, il y a la peau, le muscle, l’os… et soyons fous, le cerveau. Elle est inclusive. Ce que la pornographie place dans une niche, la post-pornographie le place volontiers aux premières loges. Parce que bien sûr, vous allez trouver sur PornHub ou XHamster LE film avec des gens de toutes les couleurs, des cyborgs et des pratiques sexuelles égalitaires, avec des performeurs consentants et sous contrat. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

-> Elle conteste les dispositifs de violence et de coercition souvent utilisés comme ersatz de scénario dans la pornographie, #metoo.

-> Elle se veut volontiers éthique, elle donne des contrats à ses performeurs, elle prend le consentement au sérieux.

-> Par contre, elle ne se prend pas au sérieux.

-> Elle n'a pas peur des sentiments, de la tendresse, des câlins.

Pour ne rien gâter, tous ces éléments sont bien sûr cumulables, ou non-cumulables. Pour résumer, la post-pornographie s’infiltre dans tout ce que la pornographie n’est pas, en exploite tous les manquements. Elle se réapproprie la représentation du désir et du plaisir via, précisément, les failles et limites du mainstream.

En fait, c’était prévisible. Dès que vous avez une norme, vous avez des personnes qui vont vouloir la contester. Et plus la pornographie est devenue efficace, avec ses corps hyperboliques qui répondent au doigt et à l’oeil, hyperflexibles, hyperperformants, hyperconformes… plus elle est devenue répétitive et codifiée et assommante, plus vous avez des spectateurs, ou spectatrices, qui en ont marre.

Déjà parce que la perfection fait perdre le côté vrai. Et ensuite parce qu’on s’ennuie. Et on pourrait même y trouver un motif d’optimisme : justement parce qu’on s’ennuie, on a envie d’autre chose. Cet ennui est un moteur de réinvention. Or donc, nous réinventons. Plus précisément, le terme de post-pornographie survient dans les années 2000 selon la police, dans les années 90 selon les manifestants… on peut le faire remonter à 1990 avec la performance « Public Cervix Anouncement » de la militante et performeuse américaine Annie Sprinkle.

Cependant, attention. Cette réinvention s’opère dans les marges... mais la discrétion de saproduction est trompeuse. La post-pornographie se passe très bien des grosses plateformes et d’un système de production capitaliste, au point de ne pas être réellement dénombrable ou comptabilisable. Au prochain épisode, je vais vous donner des exemples de post-pornographie. Vous en connaissez déjà plein :)