Voici donc l'épisode 6/6 de ma série (vous pouvez rattraper en lisant les articles précédents). Le fait est que la post-pornographie ne sort pas de nulle part, ou de militants
Voici donc l'épisode 6/6 de ma série (vous pouvez rattraper en lisant les articles précédents). Le fait est que la post-pornographie ne sort pas de nulle part, ou de militants de l’ombre énervés vegans anticapitalistes avec des tatouages et des dreadlocks. La post-pornographie demande un esprit critique, mais elle vient de personnes qui vivent ici, maintenant, elle appartient à l’air du temps. De même que la pornographie a une influence sur nos « vraies » pratiques, ça marche aussi dans l’autre sens. Il n’y aurait pas d’interracial s’il n’y avait pas de couples mixtes. Les femmes n’auraient pas tendance à chercher du X hardcore, si la société ne les obligeait pas à jouer les oies blanches le reste du temps.
Maintenant, une anecdote. Il y a deux ans, une étude parue dans les Archives of Sexual Behavior avait fait les gros titres de la presse : les jeunes de la génération millennial avaient moins de rapports sexuels que ceux de ma génération ou de la génération des baby-boomers. C’avait été un festival dans les commentaires : oh, les pauvres jeunes, ils sont tout le temps sur leur téléphone, ils ne s’intéressent plus aux rapports humains.
Oui, mais non. Parce que si vous comparez avec d’autres études, le nombre de jeunes ayant déjà expérimenté le trio vaginal-oral-anal a doublé ces vingt dernières années. C'est-à-dire que leur répertoire sexuel est plus large que celui des générations précédentes. Ils sont trois fois plus enclins que les quinquagénaires à envoyer des photos dénudées, pratiquent deux fois plus de sexting, font deux fois plus l'amour virtuellement. 19% des jeunes hommes apprécient l'idée de se lancer dans un strip-tease en ligne. L'âge moyen du premier visionnage pornographique est de 14 ans. Au cours des 25 dernières années, le nombre de Français ayant utilisé des sextoys a été multiplié par sept : ce sont les 25-35 ans qui tirent la locomotive.
C’est-à-dire que les jeunes font du sexe différemment. Et comme vous pouvez le constater, cette différences portent sur l’utilisation d’objets, de mots, d’ondes wifi, c’est-à-dire que si vous considérez qu’un rapport sexuel ne recouvre que la pénétration (comme dans la pornographie la plus outrageusement classique), vous ratez tous les autres rapports sexuels, plus fluides, plus intellectuels, des rapports sexuels qui débordent de la chambre à coucher, qui se passent pendant un trajet de métro ou pendant une réunion ennuyeuse à la compta.
Ces nouvelles pratiques sexuelles posent exactement les mêmes question que la post-pornographie : que peut-on qualifier de sexe ? Où commence et finit le rapport sexuel ? Une peau est-elle nécessaire ? Quid des fantasmes, des projections imaginaires ? Faut-il plus d'une personne, et le cas échéant, qu'elles se trouvent dans la même pièce ? Si on tombe amoureux d'une application interactive qui répond à nos traits d'humour, si un godemichet nous donne des orgasmes incroyables, cette relation-là est-elle objectivement moins légitime et excitante qu'un missionnaire ? Sucer une sex doll, c'est tromper ?
Du coup, la post-pornographie n’est pas forcément une conceptualisation hyper exigeante intellectuellement. C’est du concret. Vous, dans votre vie quotidienne, êtes sans doute mille fois plus proche de la post-pornographie que de la pornographie.
Bien sûr qu’on sort d’une sexualité de la pénétration de femmes par des hommes.
Bien sûr que ça n’est plus toujours hétéro.
Bien sûr qu’on a une sensualité et qu’on ne concentre pas tous nos efforts sur les parties génitales.
Bien sûr que cette sensualité sort du privé pour infuser notre quotidien.
Bien sûr que nous utilisons des objets et des prothèses.
Et surtout, surtout… bien sûr que nous sommes critiques de la pornographie (je ne sais pas si vous connaissez des gens qui ne le seraient pas).
Il y a une pornographie parce qu’il y a une post-sexualité : mes parents ont été la génération qui a découplé (efficacement) l'intention des rapports sexuels de la procréation. La mienne (la vôtre) découple la technique des rapports sexuels de la procréation. Elle attend juste qu'on dise son nom. On ne fait pas moins de sexe : on le fait autrement. Et je veux croire qu'on va se séparer de la pornographie pour rentrer officiellement dans la post-pornographie : parce que le X classique appartient à l'ancien monde, et que nous avons besoin de représentations qui représentent notre nouvelle réalité. Cheers !