On a beau se moquer des incels et trouver leur idéologie pathétique, ces personnes sont responsables d'au moins seize morts. C'est seize de trop. Surtout quand pendant ce temps, il

On a beau se moquer des incels et trouver leur idéologie pathétique, ces personnes sont responsables d'au moins seize morts. C'est seize de trop. Surtout quand pendant ce temps, il faut se taper les gémissements de stars répétant à qui veut bien leur donner quatre secondes d'exposition publique que « le mouvement #metoo va trop loin ». Reparlons-en quand #metoo aura tué quelqu'un, ok ? Les coupables ne sont allés qu'exceptionnellement en taule, la plupart continuent leur carrière avec un petit ralentissement, quant à Weinstein lui-même, il sera bientôt... le héros d'un film. Plutôt cool, comme crucifixion.

L'article à lire du moment, qui retrace les origines des Incels et leur obsession pour la suprématie des mâles sur les femelles, est à lire dans le NewYorker. J'ai beaucoup aimé ce passage :

« Les femmes sont habituées depuis l'enfance à se considérer comme seules responsables quand elles n'attirent pas le désir des hommes. Elles sont élevées dans la certitude qu'elles ne seront pas acceptées si elles ne passent pas suffisamment de temps, d'argent et d'énergie à se rendre jolies, flexibles et attachantes. La féminité conventionnelle leur enseigne qu'être une bonne partenaire est une obligation morale fondamentale : une femme doit procurer à son homme un système de soutien. Elle doit être pour lui l'accessoire idéal. C'est son boulot, à elle, de le convaincre – et de convaincre le reste du monde – qu'elle est une bonne personne. Quand les hommes se sentent indésirables, eux aussi blâment les femmes [et certains se mettent dans des états de rage absolue]... l'idée que leur misogynie soit la raison pour laquelle ils échouent à séduire ne semble manifestement pas leur avoir traversé l'esprit. »

Parmi les « solutions » sexuelles trouvées par les Incels et masculinistes radicaux, on passe allégrement du viol à la suppression des femmes. C'est hyper compliqué, comme simplification, ou je rêve ? Ceux qui vantent l'utilisation de robots se lancent des calculs tout aussi contre-productifs. Match.com avait ainsi évalué qu'en comptant absolument toutes les dépenses, essayer de trouver l'âme-soeur coûtait 1800 dollars par an... dans une grande ville, aux Etats-Unis. En France (et je vous l'annonce en connaissance de cause), vous pouvez diviser par deux. A 10 000 dollars le robot premier prix, vous pouvez donc faire des rencontres pendant dix ans avant de rentabiliser votre ersatz de femme... je veux bien qu'on me réponde que la robote est disponible sexuellement tout de suite, mais elle offrira moins de variété et de compétence sexuelle que même une misérable aventure par an.

Du coup, on rêve de ce que les incels pourraient accomplir s'ils dépensaient leur argent et leur énergie à jouer le jeu de la séduction. Parce que vu de l'extérieur, c'est l'hallucination totale. Ces hommes sont prêts à des efforts absolument stupéfiants pour contourner le système de séduction, pour trouver la petite phrase magique (bon courage), pour dénicher la nana sans amour-propre... donc pour ne pas avoir à plaire.

Ils demandent du sexe absolument gratuit, qu'une femme leur donnerait sans la moindre motivation. Ils ne se feront pas beaux. Ils ne se montreront pas sympathiques. Du coup, ils cherchent une femme littéralement abrutie, dénuée de tout désir propre, mais les désirant quand même (ça devient tendu). Le sexe idéal serait celui qui tombe du ciel, sans payer aucun prix – ni celui des prostituées, qu'ils méprisent, ni celui que tous les autres hommes payent sans pleurnicher, consistant à suivre des règles de sociabilité basiques, en suscitant un minimum de désir.

Tout cela est d'autant plus étrange que les incels ne demandent aucunement l'extension de cette gratuité au travail, au logement ou à la nourriture. Le sexe leur est dû, mais pas la bouffe. (Manque de bol, la convention internationale des droits humains n'est pas d'accord.) Comme le note le NewYorker, ils ne demandent pas non plus à ce que le sexe soit dû à tout le monde : les grosses, les trans, les « autres », peuvent bien crever de solitude.

Et attention à voir la paille dans notre œil personnel : cette idée d'une sexualité décorrélée de la moindre motivation, d'une mystérieuse « générosité » féminine, ne vient pas de nulle part. Elle est érotisée depuis longtemps : c'est la femme offerte. C'est la femme « qui ignore qu'elle est belle ». C'est la « princesse en public, pute en privé ». Les sources idéologiques des incels se tapissent dans nos frustrations collectives, dans l'enfant vexé tapi en nous, dans les rêves de toute-puissance. Vouloir tout, sans rien donner, comme si l'amour et le désir n'obéissaient à absolument aucune règle – façon contes de fées. S'y raccrocher n'est absolument pas mignon ou adorable : si quelqu'un gagne, l'autre perd. Vouloir qu'une femme infiniment jolie et marrante tombe amoureuse d'un mec médiocre, c'est vouloir le malheur de cette femme – ça n'équilibre rien, bien au contraire.

Quoi qu'il en soit. Le temps que passent les célibataires involontaires à se plaindre du manque de coopération des femmes serait largement suffisant à leur adaptation aux désirs féminins. Il n'y a rien à décrypter. Il n'y a rien de compliqué. Il suffit de se montrer à peu près attirants et sympas (ce qu'eux-mêmes exigent de leurs partenaires). Sérieusement, est-ce si insupportable d'admettre que dans les plaisirs de la chair, il y a « chair » ? Qu'il faille effectivement séduire ? Qu'une femme qui a passé deux heures à se faire belle, se barre immédiatement à un rendez-vous où le mec n'a fait aucun effort – surtout s'il se montre arrogant et la traite de haut ? La gratuité sexuelle n'existe pas. Il y a toujours un prix. Il est urgent de rappeler cette évidence aux « rêveurs », avant le prochain massacre.