. Venant de l’underground et de la musique, tu as un parcours assez atypique pour un auteur de littérature érotique. Pourrais-tu nous le résumer ?

— Je jouais dans un groupe et j’écrivais. Je proposais mes textes, mes nouvelles et aussi des sortes de poèmes à des revues, des fanzines et des blogs. Au début, rien d’érotique dans mes écrits, ou du moins pas en vue de susciter de l’excitation. Je cherchais plutôt quoi faire des quotidiens glauques, de l’ennui, de l’attente, comment décrire tout ça. Parallèlement, je lisais pas mal de BD érotiques/porno. Et l’envie, petit à petit, de raconter une histoire de sexe m’a trotté dans la tête. Et puis un jour, j’ai eu une idée (pour l’anecdote, c’était lorsque je travaillais en médiathèque, il y avait beaucoup de bureaux vitrés où l’on pouvait observer les gens sans qu’ils le captent). J’ai écrit ce texte et l’ai proposé à la revue Le Bateau. L’éditrice, Jessica Rispal, l’a aimé et publié. Ça a été le début. J’en ai écrit d’autres en lien avec les thèmes proposés. Je suis ensuite allée travailler avec Jessica pendant plusieurs mois. Toujours en écrivant des textes. Et tu as lancé cette collection, m’en a parlé, j’avais des idées en tête, des bouts d’histoire et voilà.

— Tu utilises le même pseudonyme pour tous tes projets, qu’ils soient musicaux ou littéraires. Pourquoi le choix d’un pseudo ? Et d’où vient celui-ci ?

— Bien que certains jugent lâche le fait d’avoir un pseudo, c’est par simplicité que je l’ai utilisé. C’était mon « nom Facebook ». C’est con mais pratique. Von Corda était le nom du groupe dans lequel je jouais de la basse avec Julien, à l’époque. C’était au départ son projet solo et je m’y suis greffée. « Von », c’est pour la particule, en référence à des chanteurs qu’il appréciait, Troy Von Balthazar et un autre que j’ai oublié. Et « Corda » pour la sonorité et un micmac avec son nom de famille à lui. Le tout faisant un peu étranger, pirate. Donc je l’ai pris comme nom de scène. Et comme ce projet était également lié à mes textes, on les imprimait avec les CD, certains étaient publiés, c’était le lien, quoi. Mais avant ce projet, j’écrivais soit sous mon nom à moi, soit sous d’autres pseudo.

— De quoi parle ton roman ?

— Mon roman raconte le quotidien banal d’une jeune femme. Elle nous montre comment elle s’y ennuie. Un jour elle fera la découverte d’un lieu lui permettant de justement changer la monotonie et la platitude de son existence.

est ton premier roman érotique. Peux-tu nous expliquer d’où vient ton désir de te frotter à un tel « mauvais genre » ?

— Plusieurs raisons et un concours de circonstances. Déjà j’avais envie de « relever le défi » et d’écrire un roman dans un cadre imposé. Ensuite, je voulais également voir si j’en étais capable – autant dans la rigueur que dans l’exercice. Parallèlement à ça, j’avais des idées, des bouts de textes et je trouvais ça dommage de ne rien en faire. Et enfin, je sais pas, t’avais l’air de chercher des auteurs alors je me suis dit « pourquoi pas moi » ?

Je ne vois pas le porno comme un mauvais genre, mais plus comme un « axe » imposé. Un peu comme pour certaines revues qui font des numéros par thèmes. Sauf que là, la quantité de mots est plus élevée et qu’il y a un but précis. Et puis aussi je souhaitais connaître la difficulté propre à ce genre. Est-ce possible de rendre l’excitation par écrit, est-ce possible de ne pas rendre la chose binaire, monotone, répétitive ? Est-ce que moi, qui justement n’en avais jamais écrit autre chose que des textes courts, j’étais capable d’écrire tout un roman ? Structuré, avec un début, une fin, tout en conservant mon style perso. Je me demandais si justement le genre n’influait pas sur le style. Si quoi qu’on fasse, notre « marque de fabrique » reste là ou pas. Tout ça, quoi.

— Tu parles de « but précis ». Je suppose que tu fais allusion au fait que les lecteurs de littérature érotique ont envie d’être excité par ce qu’ils lisent. Comment as-tu appréhendé cette contrainte, ou ce but, dans l’écriture de ton roman ?

— Je me suis fixé ça comme but à atteindre, oui. Mais ça n’est pas évident d’en connaître les « aboutissants ». Je cherche ce qui peut susciter l’excitation chez les gens que je connais, ou chez moi, mais c’est pas sûr que ça fonctionne pour tout le monde. Alors je mise sur la sincérité. Et je me dis que peu importe, si ça n’est pas le délire de tous les lecteurs. Parce que pour que quoi que ce soit fonctionne, il faut que ce soit senti. Le porno surjoué, pré mâché, ou cliché ne m’intéresse pas. Il faut qu’il y ait une âme. Dès qu’il y a du souffle dans une scène, je pense qu’elle peut intriguer, voire plus, n’importe qui.

J’espère que les lectrices et lecteurs utiliseront ce livre comme support à leur imagination, j’espère qu’ils ne pourront pas s’empêcher d’interrompre leur lecture tellement ça les « démange »… Mais c’est peut être prétentieux.

— Il y a dans un mélange étonnant d’onirisme, de quotidien et de réalisme très cru – surtout en ce qui concerne les scènes de cul. Est-ce que c’était important pour toi, ce mélange de registres ?

— Eh bien, ça rejoint un peu ce que je dis plus haut. C’est important, mais je ne m’y force pas, dans le sens où je raconte des événements. Parfois du quotidien, parfois du cul, parfois ni l’un ni l’autre – et en fonction, je mets les mots et images qui me semblent le plus parlant dans la perception que j’ai de cet événement. Je ne me dis pas « bon là je vais faire un passage onirique et hop ». J’écris et puis les scènes s’activent dans ma tête et ensuite je les retranscris. Mais je suis contente qu’il s’en dégage ce mélange, c’est bien que les choses ne soient pas linéaires, qu’elles soient multiples.

— Peux-tu nous parler de votre quotidien d’auteur ?

— Je suis une personne blindée de rituels et d’habitudes. Des choses banales, comme le fait que mon lit doit être fait. Je me mets au travail tôt, mais avant il faut au moins que j’ai pris un café, mangé un truc, me sois lavée, ai fait mon lit. Ensuite, j’enchaîne les clopes et l’écriture. En général jusqu’à midi. L’après-midi je relis ce que j’ai écrit le matin et rectifie jusqu’à ce que j’en sois satisfaite. Ça peut durer plusieurs jours, ou plus, ou moins. C’est pour ça que je ne peux pas vraiment dire combien de temps ça me prend d’écrire un texte. Ça dépend. Par contre, le soir, je n’arrive pas à écrire, c’est comme ça.

J’écris tous les jours, je considère ça comme un travail, même si des fois j’ai la flemme ou suis fatiguée, etc., mais c’est la vie. Mais j’aime vraiment ça, le côté chiant que ça peut avoir, répétitif, enfermant, et aussi l’isolement. Parfois on touche à des instants de déconnexion avec son propre réel et on est projeté dans ce qu’on écrit, et même si ça ne se produit pas tout le temps, quand ça arrive ça vaut le coup.

Parfois j’écris aussi avec de la musique, mais pas tout un album, genre un morceau que je passe en boucle à fond. Pour le rythme, l’ambiance. Et je cherche à retranscrire ça dans une scène qui s’y prête. Ça peut donner mal à la tête et rendre un peu barrée, mais j’aime bien travailler avec la musique. Je relis avec le morceau, et une fois que le texte y est bien collé, je relis encore, dans le silence.

— Quels sont tes thèmes préférés en pornographie ? Pour Insatiable, est-ce que tu t’es imposée des limites ?

— En pornographie, pour moi, je veux dire dans ce que j’aime voir ou lire, j’aime bien qu’il y ait une notion de jeu. Ça peut être des trucs faits en extérieur, du voyeurisme ou de l’exhib. J’aime aussi les histoires de quotidien qui dérape, avec des plombiers par exemple. C’est peut-être cliché mais ça me fait marrer. J’adore la série des ménagère d’Armas, par exemple [Ménagères en chaleur, Le Retour des ménagères et à poêle les ménagères, chez ].

Dans ce que j’écris, je conserve peut-être ce côté voyeur/exhib, mais j’aime aussi pousser les limites et rendre mes scènes pornos plus trash, osées, sans barrière. J’ai déjà écrit des textes mettant en scène des animaux par exemple. Dans l’écriture, j’essaie de voir si je peux rendre excitant quelque chose qui est plutôt considéré comme borderline. Essayer d’aller plus loin.

Pour , je ne me suis pas fixée de limite, je n’y avais même pas pensé, en fait. Je sais pas, j’ai raconté ça en réfléchissant à ce que je trouvais excitant, intéressant et pertinent d’écrire.

— Qu’est-ce qu’une scène de cul réussie selon toi ? Quels sont vos méthodes, vos ingrédients secrets, vos « petits trucs » ?

— Une scène de cul réussie, c’est pas facile. Parce que tout est dans le rythme, je pense, et l’humeur. Il faut que les choses pulsent et soient accordées. Il faut qu’on voie, mais qu’on puisse aussi s’y voir. Il faut aussi que le vocabulaire fonctionne. Ne soit ni tarte, ni trop ésotérique. Mes méthodes, bin c’est simple, je n’en ai pas vu que c’est mon premier roman ! Mais je dirai déjà qu’il doit y avoir un début qui glisse, dans le sens où les choses dérivent petit à petit et naturellement vers une scène de cul. Une fois la scène commencée, là on peut y aller et donner un rythme plus soutenu, et même, aller dans vers choses plus concrètes, ou absurdes. Je pense qu’il ne faut justement pas se fixer de limites. Parce que tout est possible et que rien n’est sale, à partir du moment où c’est assumé.

La musique, comme je le disais, m’aide pour le rythme, l’ambiance et les images mentales. Pour j’ai utilisé certains morceaux précis, et lorsque je relis les passages je retrouve ce rythme-là, les paroles, et tout. Ça, ça peut aider. On n’a pas toujours le truc en tête. Aussi, je me demande ce qui fonctionne sur moi, dans mes fantasmes et tout, et en fonction j’en rajoute. Parce que si ça marche sur moi, ça peut marcher sur d’autres.

— Quels étaient ces morceaux ? Donne-nous ta playlist !

— Ma playlist, je l’attendais, celle-là ! Il y a trois morceaux sur lesquels j’ai vraiment bloqué. Venus in Fur du Velvet, I Wanna Be Your Dog des Stooges et Sunfucker des Swans. Après, j’ai écouté aussi je crois The Mercy Seat de Nick Cave, mais moins en boucle, avec Show me the body sûrement, et France Culture parfois. Mais ces derniers sont moins significatifs !

— Dans un roman érotique, qu’est-ce qui est le plus difficile à écrire ? Les scènes de cul ou les autres ?

— C’est marrant, parce qu’en lisant la question, je me suis d’abord dit « ce sont les scènes entre ». Et puis direct je me suis dit « non, ce sont les scènes de cul ». Et donc, pour trancher, même si « ça dépend » pourrait être une réponse juste même si elle ne dit pas grand-chose, je dirais les scènes de cul. Pour ce problème de vocabulaire et de répétition, justement. Il n’existe pas mille mots pour nommer une chatte ou une bite. On est vite enfermé avec ces quelques références, alors il faut sortir d’autres armes et parfois ça donne des passages où on ne comprend rien.

En soit, répéter des mots, ça ne me dérange pas, au contraire. J’aime beaucoup les répétitions, mais il ne faut pas que ça devienne lourd. Et les pronoms parfois peuvent avoir des doubles sens. Les scènes à plusieurs, aussi, je trouve ça difficile. Genre quand il y a plusieurs personnages sans nom et de même sexe, puisque dès qu’on dépasse le chiffre de deux, ben, forcément, on va se retrouver avec deux femmes ou deux mecs, sur le papier. Et là, vas-y pour dire de quel bras ou de quelle paire de couilles on parle, les doigts de qui caressent le cul de qui, la bouche à qui suce l’orteil de qui. Pas facile-facile !

— Fais-tu lire tes manuscrit à des lecteurs (ou des lectrices) privilégiés ?

Certains passages, oui, parfois. Ceux dont je doute, justement, sur la compréhension et « l’efficacité ». Ces passages, je les moi-même à la personne concernée, ce qui me permet une énième relecture à voix haute. Mais bon, étant de nature pénible, même s’il y a des critiques ou des remarques de la part de mon auditeur, je suis loin d’en tenir compte à chaque fois !

— Quels sont tes futurs projets ?

Pourquoi pas écrire un nouveau roman pour La Musardine ? J’ai en tête une trame et même des phrases…

Sinon, un recueil de textes va sortir chez Ni fait ni à faire, une maison d’édition lilloise. C’est une sorte de suite à que les Crocs électriques avaient publié en 2018. Des textes très courts, des poèmes en quelque sorte, sur les peurs, la ville, l’renfermement.

J’ai aussi un projet d’écriture pour la revue Le Bateau, dont une série de textes écrits à quatre mains.

Je compte aussi terminé un roman que j’ai commencé en octobre – j’en vois enfin le bout. Ah ben tiens, ça peut donner une idée du temps que ça me prend, de faire un roman. Depuis octobre jusqu’à maintenant, on arrondit à fin mai, ça fait six mois. Bon je partais d’une mini nouvelle que j’avais déjà écrite. À propos de quelqu’un qui galère à s’adapter, perdue dans son enfer mental.

Et j’ai d’autres idées en tête, notamment raconter l’exploration d’une certaine maladie mentale. Mais pas en version trash, plutôt comme des états de fait, à voir.

Mais je ne sais pas si je vais enchaîner directement avec un nouveau projet d’écriture, c’est douloureux et enfermant d’écrire. Ça met à nu, en tête à tête avec soi. Et j’aimerais parfois m’en passer, de ma tête.

Je n’arrive pas vraiment à écrire des fictions pures et dures, sorties de nulle part, il faut que ça me touche. Je n’arrive pas à imaginer tout un monde différent que celui dans lequel je suis enfermée, alors forcément, écrire creuse cet enfermement, cet isolement, les angoisses et tout ça. Et à force, je me sens décalée avec le réel et le social. Les gens s’en foutent de l’écriture, en parler pendant plus de cinq minutes n’intéresse personne.

Quand on est à fond dans un texte, il s’imprègne partout. Dans les films qu’on regarde, les livres qu’on lit, les mots qu’on entend. Et moi, je suis du genre à tout pomper à droite à gauche dans ce qui m’entoure. C’est sans répit. Ça obsède. On n’en voit jamais la fin. Ça pèse, lève, plombe, redresse, achève sans fin. Mais d’un autre côté j’aime ce côté maniaque, instable et mono tâche du temps vécu.

Et enfin, j’espère ne pas mourir trop tôt pour devenir riche et célèbre quoi. Non, plutôt l’inverse : célèbre et riche. N’importe quoi (rires).