Image extraite du documentaire “À la recherche du premier boulard“ (Raiders of the first porn), d’Aurore Aubin et Denis Larzillière, 2019.

Quel est le tout tout tout premier plan hard filmé avec

Image extraite du documentaire “À la recherche du premier boulard“ (Raiders of the first porn), d’Aurore Aubin et Denis Larzillière, 2019.

Quel est le tout tout tout premier plan hard filmé avec une caméra ? Diffusé sur OCS ce mardi 17 octobre, un documentaire s’intéresse aux origines des «images suggestives», en une succession de révélations et de rebondissements. Drôle, riche, haletant.

En clin d’oeil au film LesAventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost ark), le documentaire s’intitule : Raiders of the first porn. Partant sur les traces du «premier boulard» (film de boules), les réalisateurs français Aurore Aubin et Denis Larzillièreposent la question : est-il possible de savoir par qui, où et quand ont été tournées les premières images explicites de l’histoire du cinéma ? Leur enquête, passionnante, procède par progressif sauts dans le temps. Elle rembobine le cours de l’histoire, en une dizaine de séquences imitant celles du film Irréversible, qui suit une chronologie inversée. Cela part du premier film montré à la télévision et cela va jusqu’au premier plan explicite gravé sur pellicule, en passant par toutes ces premières autres «premières» que sont : la première vidéo de Marc Dorcel, la première scène de cul interracial, la première scène de sexe filmée par un trou de serrure, le premier dessin animé pour adultes, la première feuille de rose, le premier glory-hole, la première scène de sexe gay, etc. Chaque séquence est séparée par un intermède comique : un faux présentateur TV nommé Richard King ponctue le film de commentaires ringards et lubriques. «Aujourd’hui, parlons sexe», dit-il, avec un gros clin d’oeil. Sous-entendu : ça vous émoustille ? Nous aussi ! Alors, pour mener l’enquête «actionnons la machine à remonter le temps à la recherche des grandes premières fois qui ont façonné le genre jusqu’à la toute Première…»

Le premier film pouradultes à la télévision

Henri Gigoux, ancien programmateur de films pornos pour Canal +, raconte ainsi l’histoire : «en juillet 1985 ils ont passé Caligula avec les scènes de sexe. Ça a été le premier test des gens de Canal Plus pour savoir si ça pouvait ne pas être interdit tout de suite…» Caligula ne fait aucun remous. Aucune instance de répression ne réagit. Alors, prenant son courage à deux mains, Lescure décroche son téléphone et appelle un nommé Jean-François Davy qui se rappelle ainsi l’histoire : «Lescure m’appelle et me dit “Jean-François Davy, vous avez fait Exhbition. Est-ce vous pourriez nous vendre les droits pour le diffuser sur Canal Plus ?” Moi, c’était un peu la même réaction que quand on m’a dit “Le film est sélectionné pour Cannes”.» Jean-François Davy s’étonne : des images explicites à la télévision !? Jean-François Lescure lui répond: «Oui voilà, on va lancer un concept comme ça.» Et c’est ainsi qu’en août 1985, Exhibition devient le premier film avec du sexe non-simulé à la télévision. Henri Gigoux raconte : «Lorsque le film passe, aucune réaction, ni du pouvoir politique ni de la haute autorité qui s’appelle maintenant le CSA. Du coup, on se dit qu’on va faire ce rendez-vous tous les mois, le premier samedi du mois.» Une vraie révolution. Pour la première fois, les Français peuvent mater du X sans se sentir honteux. Pas de soucis mamie, c’est juste un film à la télé.

La première fiction porno en 35 mm et en salle de cinéma

L’âge du cinéma X en 35 mm est marqué bien sûr par la sortie en 1972 de Deep Throat (Gorge profonde), «considéré comme le premier porno officiel du cinéma américain». C’est l’histoire d’une femme qui consulte un médecin parce qu’elle ne parvient pas à jouir, et pour cause : son clitoris se situe au fond de sa gorge. Le film a été tourné parun pionnier génial –Gérard Damiano– en 6 jours, pour 25 000 dollars (somme empruntée à la pègre). Le FBI estime qu’en 30 ans d’exploitation, il aurait rapporté 600 millions de dollars (dont Damiano ne verra pratiquement pas la couleur), ce qui en fait le film le plus rentable de toute l’histoire du cinéma. A cette époque, l’affiche Deep throat est partout. Brigitte Lahaie se rappelle : «Si vous n’aviez pas vu Gorge profonde, cela passait pour de la pruderie. » Coincé-e du cul ? Moi, jamais. Le producteur Francis Mischkind raconte : «Même des gens comme Sinatra sont allés le voir car il était de bon ton de pouvoir en parler dans les dîners en ville.» C’est le premier film dont l’audience déborde celle des salles pornos. Mais est-ce le premier long-métrage porno ? Non. Il est précédé en 1972 par un autre film de Damiano qui s’intitule Derrière la porte verte. Aurore Aubin trouve même la trace d’un précédent film de fiction avec des scènes de pénétration non simulées : Mona the virgin Nymph, tourné en 1970 par Michael Benveniste et Howard Ziehm.

Les premiers loops, «ancêtres du gonzo»

Dans les années 60, des court-métrages hard sans scénario fleurissent dans la clandestinité : ce sont des films diffusés uniquement dans les cabines de projection des sex-shops et qui se réduisent à l’acte. «La femme arrive, l’homme est généralement déjà là et ça baise directement», résume Arnaud Beaudry, créateur du vlog Pornorama. Le spectateur paye pour un ou deux loops, entre dans la cabine, éjacule, s’essuie, ressort. Au tout début (fin des années 50), les loops sont projetés dans des appareils avec des jumelles intégrées et qui s’alignent comme des machines à sou dans des lieux mal fréquentés. Les visiteurs, debout, côte à côte, insèrent une pièce dans l’appareil et se penchent contre les jumelles afin de voir la séquence : une ou deux minutes. Le journaliste Jacques Zimmer raconte : «Aux USA, c’était un commerce contrôlé par la mafia et comme les gens payaient avec des pièces de 10 cents, on ramassait tout le soir, mais on ne comptait pas les pièces : on les pesait.» Impossible cependant de tracer l’origine de ces tous premiers loops : pas de générique, pas de datation possible.

Les premiers pornos muets pour un gotha d’amateurs

«Dans les années 1920 et 1930, il y a deux marchés : celui des particuliers qui ont beaucoup d’argent et celui des bordels.» Les films pornographiques sont alors produits sur commande, généralement par de très riches érotomanes. «On en connaît certains, comme le roi Farouk et Michel Simon, deux amateurs très connus de curiosa», dit Jacques Zimmer. Il y a aussi Alfonso 13, roi d’Espagne (plus tard destitué par le franquisme) qui, à défaut d’autre chose, créé sa propre maison de production afin de faire faire des films «sur mesure» dont le contenu corresponde à ses goûts sexuels. Les productions sont diffusées lors de soirées mondaines secrètes. Les maisons de tolérance de catégorie supérieure font également produire des films, généralement paillards et grivois, qu’elles projettent comme divertissement. «Ils servaient de hors d’oeuvre pour allumer les clients, au même titre que le défilé des prostituées ou les saynètes qu’elles interprétaient. Le cinéma intervenait dans cette petite panoplie de spectacles», raconteZimmer. Il y avait d’ailleurs des cartons insérés à la fin du film qui disaient : «Et maintenant, ces dames vous attendent au salon», pour faire passer du rêve à la réalité. Dans ces films, les acteurs étaient des gens ordinaires –petit zizi, gros bedon– et ils se faisaient sodomiser sans problème. Il n’y avait, semble-t-il, pas de catégories sexuelles, pas d’identité.

Le tout tout tout premier film obscène

Reste à savoir de quand date le tout premier film explicite… «Mesdames, Mesdemoiselles Messieurs, annonce Richard King. C’est non sans émotion que je peux vous dire que nous avons trouvé le Graal. Le tout premier boulard ! Il est argentin… et selon la majorité des boularologues, il daterait de 1907.» On pourrait croire que le documentaire s’arrêterait là, sur les images abimées, tressautantes, de cet OVNI rescapé… Mais non. Car ce n’est pas ce film-là qui fait scandale. Le premier film véritablement obscène est bien plus ancien. ll date de 1896, il dure 47 secondes et il s’appelle The Kiss. Lorsqu’il est diffusé dans les salles américaines (les kinetoscopes parlors), l’Union de femmes chrétiennes pour la tempérance lance une campagne nationale pour le faire interdire. Ce film est jugé «dégradant» parce qu’il enregistre deux adultes en gros plan, lors d’un moment d’intimité. Que la scène en question soit jouée par deux acteurs et reproduise la fin du premier acte d’une comédie populaire de l’époque ne change rien au choc qu’elle cause dans le grand public. Pour la première fois, une caméra entre dans la zone privée d’un couple, capte ce moment, l’échange d’un baiser qui inaugure toute une histoire de l’effraction émotionnelle. Car après tout, qu’est-ce que le porno sinon cette forme d’intrusion ?

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À la recherche du premier boulard (Raiders of the first porn), documentaire d’Aurore Aubin et Denis Larzillière, produit par Empreinte digitale.

Diffusion : le 17 octobre à 22h15 sur OCS Géants et disponible à la demande sur OCS à compter de cette date.