Image du film "Please Love Party", de Pierre Pauze.

Dans son oeuvre “Please Love Party”, l’artiste Pierre Pauze filme des danseurs à qui il a administré une drogue de synthèse nouvelle.

Image du film "Please Love Party", de Pierre Pauze.

Dans son oeuvre “Please Love Party”, l’artiste Pierre Pauze filme des danseurs à qui il a administré une drogue de synthèse nouvelle. La vidéo est présentée dans le cadre de l’exposition organisée aux Magasins Généraux à Pantin.

Aux Magasins généraux, jusqu’au 20 octobre, l’exposition «Futures of Love» anticipe les devenirs possibles de nos vies amoureuses et sexuelles. «Entre dystopie, sensualité, fantasme et espoir, l’exposition se compose de huit chapitres, qui explorent autant de futurs potentiels» : l’amour sera-t-il virtuel, fluide, robotique ou global ? Parmi la quarantaine d’oeuvres et d’installations, l’exposition offre aux visiteurs l’occasion de tester un simulateur de poly-sexe en mode aléatoire (The Truth Table Experience, d’Ed Fornieles), d’observer un robot alors qu’il mate un générateur d’images pornos (Foule Média #1, de Hugo Servanin) et de lire le poème troublant, composé par algorithme, sur l’amour impossible des machines (Never Love a Magnet, de Marit Westerhuis)… Il est également possible d’expérimenter, dans une petite salle de projection cubique, un pur trip de chemsex visuel et sonore : l’oeuvre Please Love Party, de Pierre Pauze, plonge le visiteur au coeur d’une soirée techno durant laquelle 20 cobayes humains ont testé une drogue clandestine.

«Votre attention s’il vous plait»

Le film est une simulation d’étude clinique aux allures de vidéo-clip, soit 12 minutes d’images électrisantes, soutenues par les rythmes d’un mix de transe et doublées, en voix off, par une voix synthétique : «Votre attention s’il vous plait. Bienvenue à tous. L’expérience va bientôt commencer.» Réunis dans un hangar, un groupe composé de garçons et de filles est invité à boire des bouteilles d’eau. Chaque bouteille contient une drogue, créée par l’artiste, composée de phényléthylamine, d’ocytocine et de sérotonine. Ses effets possibles sont : la désinhibition, l’augmentation du désir, une sensation de joie intense. Lorsque la musique démarre, les cobayes se mettent à danser. Ils vont danser toute la nuit, bombardés de flash lumineux et de percussions acoustiques, jusqu’à l’épuisement, devant des moniteurs de caméra. Avec quels résultats ?

Un test grandeur nature sur du matériel humain ?

On pourrait s’étonner qu’un artiste puisse tester sur des humains une drogue de synthèse. L’expérience paraît d’autant plus dangereuse que la drogue en question se compose depsychotropes achetés sur le darknet. Mais Pierre Pauze est malin, pour ne pas dire machiavélique. Son expérience est légale car la drogue n’a été administrée aux cobayes qu’en version homéopathique. «L’expérience s’appuie sur la théorie de la mémoire de l’eau, explique-t-il. Selon cette théorie, l’eau garderait en mémoire les informations moléculaires, même lorsque ces molécules ne s’y trouvent plus. Or cette théorie a été invalidée par la communauté scientifique. Pour que mon projet devienne illégal il faudrait que quelqu’un puisse retrouver la trace mnésique ou vibratoire des substances interdites dans les dilutions… En faisant ça, il prouverait la mémoire de l’eau.» Avec ce projet, Pierre Pauze questionne la notion d’autorité scientifique.

Prendre les savants au piège de leurs credo

Parodiant les vidéos de protocoles scientifique, le film Please Love Party met en scène une expérience totalement biaisée, qui ne repose sur rien d’autre que des effets de croyance. La voix de synthèse, par exemple, censée donner au test une valeur de neutralité objective, ne fait que réciter des phrases proches de l’invocation. «Qu’est-ce que l’amour ?, demande-t-elle. Sur le plan chimique, c’est de l’ocytocine et de la phényléthylamine.» Mais peut-on réduire l’amour à ça ? Lorsque les biologistes comparent le comportement amoureux humain à un mécanisme d’intoxication, impliquant des substances hormonales «addictives» et des «circuits de récompense», faut-il y croire ? Et si l’amour n’était au fond qu’une forme de conditionnement ? Imaginez qu’on vous fasse boire l’équivalent moderne d’un «philtre d’amour» puis qu’on vous fasse danser, toute une nuit, au coeur d’un hangar secret rempli de corps pantelants… Que pensez-vous qu’il se passerait ?

«Nos sentiments sont-ils des ondes ?»

Mettez ensemble des inconnu-es. Faites leur boire un elixir. Jouez sur l’effet d’hypnose provoqué par la mise en scène d’un test scientifique. Induisez vos cobayes à douter du contenu de leur bouteille, tout en les soumettant à d’autres formes de suggestion. Oui, leur bouteille ne contient peut-être que l’équivalent d’un placebo. Oui, peut-être que l’eau n’a pas de mémoire. Mais l’esprit, lui, réagit aux ondes provoquées par les stroboscopes et par les fréquences sonores, autant que par le sentiment de partager un moment très spécial avec d’autres clandestins. Questionnant de façon subtile le credo actuel de l’amour comme processus chimique, Pierre Pauze montre qu’il existe d’autres clés d’interprétations qui sont, toutes, les fragments d’un discours amoureux. Aucune clé n’épuise l’énigme, mais chacune «agit» à la façon d’une formule magique. Et c’est peut-être tout ce qui compte, au fond.

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QUESTIONS A PIERRE PAUZE

De quels ouvrages, de quelles théories vous êtes-vous inspiré pour composer votre «drogue de l’amour» ?

Mes inspirations sont assez éclectiques, elles s’appuient autant sur des témoignages que des théories scientifiques, en passant par la littérature et la poésie : Bachelard (L’eau et les songes), l’observation des courants d’eau par Leonard de Vinci, la cristallogenèse et la cimatique de Masaru Émoto et de Lauterwasser. J’ai aussi fait des recherches sur la sulfureuse théorie de la mémoire de l’eau. Ca m’a conduit aux travaux de Benveniste et aux expériences de Montanier dont je me suis inspiré pour la création de ma drogue. Au-delà de la controverse scientifique, après avoir rassemblé toutes cette cartographie conceptuelle et expérimentale, j’ai compris que le sujet évoquait plus chez moi un imaginaire poétique que le désir de vérifier la véracité de cette théorie. Je me suis alors ré-approprié toute ces notions pour créer ma propre expérience : Please Love Party.

Avez-vous été encadré scientifiquement pour composer votre drogue ?

Deux laboratoires ont participé. J’ai aussi bénéficié du consulting de spécialistes des molécules, notamment sur l’utilisation médicale de l’ocytocine. Pour les manipulations et l’imagerie scientifique, je travaille depuis trois ans avec Corentin Spriet, un docteur en bio-photonique qui collabore avec beaucoup d’artistes sur des projets art/science. Je salue d’ailleurs son courage, car le point sensible du projet par rapport à la communauté scientifique n’était pas la fabrication d’une drogue de synthèse, mais de travailler sur la mémoire de l’eau. Lui n’y croit pas, bien sûr. Il m’a quand même suivi jusqu’au bout pour mener à bien ce projet.

Pourquoi a-t-il fallu les acheter sur le darknet ? Elles ne sont pas disponibles par le biais de votre réseau d’amis scientifiques et/ou médecins ?

Le darknet résulte plus d’un choix conceptuel. Corentin Spriet m’en a donné l’idée alors que je lui parlais de l’analogie (centrale dans mon travail) entre le cycle de l’eau et le cycle de la data informatique. De fait, le darkweb est un univers fascinant créé par des utopistes, les White Hats. Son usage n’est pas réservé qu’aux commerce illégaux. Il a par exemple servi à créer des canaux de communication durant certaines révolutions contemporaines, comme lors du printemps arabe. C’est cet aspect révolutionnaire et résistant qui m’intéresse. Si la mémoire de l’eau fonctionnait, les médicaments deviendrait gratuits pour tous car téléchargeables sur le net et reproductibles à l’infini, comme les données numériques.

Une dimension cachée de votre oeuvre se trouve d’ailleurs sur le darknet ?

Oui, des informaticiens du Fresnoy m’ont aidé à créer un site en «.onion» sur lequel –fidèle à la logique du partage de l’information– j’ai mis en accès libre les données numériques de ma drogue. Je ne voulais pas qu’elles soient sur Internet, disponibles sur un simple clic. Seul-es ceux-celles osant s’aventurer sur le darknet pourront y accéder. C’est aussi pour cette raison que j’ai commandé une partie des substance sur le darknet : dans le but de filer cette métaphore du cycle de l’eau/data. Je commande des substances chimiques, je les transforme en ondes numériques et je les renvoie gratuitement là ou je les ai achetées.

Combien ont coûté ces substances ?

Certains labos m’ont fait don de molécules. Pour les psychotropes, les labos peuvent s’en procurer à des fins scientifiques, mais les produits utilisés pour la recherche sont hors de prix car ils doivent être stables. En passant par le biais légal des laboratoires, 1 gramme de cocaine peut coûter jusqu’à 5000 euros. Je n’avais pas besoin pour mon expérience de me procurer des produits aussi précis dans leur composition, car le but n’était pas de tester les influences des solutions-mères mais celles des versions homéopathiques. Une autre raison de mon choix est politique. Je ne cautionne pas l’économie parallèle et les conséquences sociales des circuits de la vente de drogue. Avec le darknet, on s’adresse directement au fabriquant. Dans le cas d’une drogue de synthèse fabriquée en petite quantité, si le vendeur ne vend pas de cocaïne ou d’autres drogues exotiques on peut imaginer que ça n’est pas la production d’un cartel, mais plutôt d’un étudiant en physique-chimie qui arrondit ses fins mois. Du coup, ces substances ont été achetées en Bitcoin, pour environ trois fois moins cher que ce qu’on trouve sur le marché réel.

En combien de temps avez-vous été livré ?

En une semaine j’ai reçu mon colis au Fresnoy sur mon lieu de travail, par la poste et à mon nom.

Concernant le fait de tester un produit sur des cobayes : est-ce autorisé ?

Non certainement pas. C’est d’ailleurs la partie la plus sensible du projet, qui m’a posé le plus de questions, tout du moins sur le plan éthique. Je ne suis pas un partisan de la prise de stupéfiant, surtout dans les conditions souvent opaques du monde de la nuit. C’est pourquoi il n’a été donnée aux «cobayes» que des versions homéopathiques.

Concernant le fait de donner de la drogue : comment avez-vous fait pour éviter de tomber dans l’illégalité ?

C’est toute l’ambiguïté du projet. J’ai fabriqué une drogue et j’en ai fait une version homéopathique pour mener une expérience invalidée par la communauté scientifique. Il s’agissait pour moi de mettre en regard l’autorité scientifique avec la question des «croyances».

Concernant le recrutement des cobayes : comment les avez-vous trouvé ?

C’était un casting proche de celui d’un film. Il me fallait des gens déshinibés, cinégéniques et bon danseurs. Des complices ont organisé le casting au sein de plusieurs structures. La plupart des «expériencers» sont issus de Science Po Lille.

Votre court-métrage est-il volontairement ambigü ?

C’était mon intention dès le départ de rendre le projet hybride, entre documentaire et fiction.

Concernant les résultats de l’expérience : était-il important pour vous de vérifier l’influence de votre drogue ?

Pour la partie documentaire, le protocole expérimental scientifique a été respecté dans les règles de l’art. J’entends par là toute la partie conception de la drogue et sa transformation «homéopathique et vibratoire». Néanmoins c’est plus le processus que le résultat qui m’intéresse. Je veux ouvrir des portes, sans être partisan d’une théorie. Ce qui m’a intéressé c’est comment le geste artistique m’a permis de détourner les règles de l’institution et de la loi. Je ne veux pas faire d’un geste artistique un outil de communication ou de propagande. Il me semblait nécessaire pour cela que l’origine et la conclusion de ce projet soient poétiques.

Le but caché de votre expérience n’était-il pas de vérifier l’influence d’un conditionnement mental ?

Le projet s’appelle «Please love party» par allusion à l’étymologie du mot placebo (plaire/please). Il est évident que le conditionnement a son rôle à jouer. D’ailleurs les partisans des théories holistes et vibratoire pensent que l’intention influe sur la matière. Selon eux, l’observateur influence l’objet l’observé, même à l’échelle moléculaire ou quantique. Dans cette optique la dynamique de croyance est aussi importante que le produit ingurgité. On peut faire des rapprochements avec l’autosuggestion, l’hypnose ou même la transe.

Vous avez mis en relation l’impact des vibrations musicales sur l’humain avec l’impact de la drogue sur des cellules vivantes. Est-ce qu’il y a un lien entre les deux ?

L’idée de base c’était : comparer les mouvements des danseurs et ceux des cellules soumises à la même drogue. Mais finalement j’ai préféré «mettre en scène» les cellules comme des métaphores, en trichant un peu. A la fin du film, alors que tout le monde s’enlace, comme si la drogue de l’amour avait fonctionné, on voit au microscope des cellules de couleur rouge se mêler les unes aux autres comme si elles devenaient elles-mêmes amoureuses. Il s’agit en fait de cellules cancéreuses in vitro qui, mises en contact avec un toxique, meurent simultanément en explosant les unes sur les autres. D’une certaine manière, ça rejoint une tradition littéraire romantique de l’amour associé à la mort.

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Exposition «Futures of Love», jusqu’au 20 octobre 2019, aux Magasins Généraux (1 rue de l’Ancien Canal, 93500 Pantin). Du mardi au dimanche, de 12h à 21h. Entrée libre.

Commissaires d’exposition : Anna Labouze & Keimis Henni.

Please Love Party (12 mn), réalisé en 2018. Co-production : Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, Les Magasins Généraux et Futur Antérieur Production. Avec la Participation du DICRéAM-CNC. Réalisation : Pierre Pauze. Scénario : Pierre Pauze et June Balthazard. Musique originale : GEINST.

Le film est également visible à l’Ecole d’art Le Fresnoy (Tourcoing), dans le cadre de l’exposition Panorama 21 (elle dure du 21 septembre au 21 décembre 2019).