Emma Becker, avril 2019. Photo Pascal Ito (c) Flammarion.

Dans “La Maison”, l’écrivaine Emma Becker résume deux années de sa vie sexuelle et amoureuse, dans un bordel de Berlin. Elle s’est prostituée

Emma Becker, avril 2019. Photo Pascal Ito (c) Flammarion.

Dans “La Maison”, l’écrivaine Emma Becker résume deux années de sa vie sexuelle et amoureuse, dans un bordel de Berlin. Elle s’est prostituée parce qu’elle voulait comprendre. Est-ce qu’une “travailleuse” peut jouir ? Qu’est-ce qui attire les hommes ?

Née en 1988 à Fresnes, Emma Becker est longtemps élève dans des institutions catholiques. Vers 14 ans, elle lit en cachette des romans érotiques. A 20 ans, elle a une histoire d’amour avec un chirurgien marié approchant la cinquantaine. Elle en fait la matière de son premier roman : Mr (Denoël). En 2011, son deuxième roman –Alice (Denoël)– en dévoile un peu plus de sa vie intime et intérieure. En 2013, Emma déménage à Berlin, après une rupture amoureuse. C’est là qu’un amant vient la rejoindre et, dans une rue remplie de prostituée, se met à lui dire : «Je ne sais pas combien de temps tu peux être excitée en faisant un boulot pareil.

Enfin, Stéphane… ! On ne parle pas de robots.

— Non, mais tu n’as aucune idée de ce que ça peut être de faire dix passes par jour. Au bout d’un moment, je pense que l’esprit et le corps s’y résolvent ensemble, et que l’excitation devient un paramètre non seulement ornemental, mais extrêmement rare.»

Qu’est-ce qui «peut bien se passer dans la tête d’une pute»

Cette conversation déclenche-t-elle l’envie de savoir ? Emma Becker se fait embaucher dans une «Maison», ouverte chaque jour entre 10 et 23h, et dont les pensionnaires travaillent par roulement. Sur les soixante filles de l’équipe, une quinzaine au moins sont des infirmières, pour arrondir leurs fins de mois. Quant aux autres… Emma se questionne : «les femmes baisent pour un tas d’excellentes raisons qui n’ont rien à voir avec le plaisir physique». Les raisons des prostituées sont-elles si différentes ? De son expérience du bordel, transposée dans La Maison (Flammarion), une chronique documentaire entrecoupée de souvenirs et de réflexions, elle tire un récit rare, passionnant, de 400 pages, qui maintient juste ce qu’il faut de distance pour que le monde des prostituées ne soit jamais que le monde de personnes partageant les mêmes questionnements. Quelle part de toi participe lorsque tu fais l’amour ? Pourquoi est-il si compliqué de jouir ? As-tu besoin de faire jouir quelqu’un pour te rassurer ?

Sentir, c’est ça «le vrai problème dans le fait d’être une pute»

Emma Becker se rappelle. Quand elle était «dans la peau de cette gamine qui désespérait d’être pour les garçons autre chose qu’une copine à lunettes», ne rêvait-elle pas déjà d’être une autre femme ? De son passage dans la Maison, elle rapporte une extraordinaire quantité de témoignages qui s’agrègent au sien. Les trajectoires de vie se mélangent aux descriptions de la «vie quotidienne» dans le salon où les femmes attendent. Elles attendent qu’un client les choisisse, afin de l’emmener dans une chambre au choix : la Dorée au plafond de miroirs, le Studio carrelé de blanc, la Rouge aux lumières tamisées… Esmée, Gita, Ingrid, Agnetha, Genova se succèdent sous sa plume. «Le problème avec ce métier, c’est qu’au bout d’un moment, ton corps ne sait plus quand tu fais semblant et quand tu sens vraiment quelque chose, lui raconte Hildie. Tu te donnes tellement de mal à bâtir cette indifférence, c’est tellement devenu un réflexe, qu’il faut un certain temps pour que ton corps réapprenne à sentir.»

Le mystère Victoria

Pour certaines prostituées, le problème, «c’est les mascarades que l’on s’impose et qui deviennent la vérité.» Pour d’autres, c’est faire en sorte que le mari ne l’apprenne pas (alors même que, probablement, elles ne font que penser à lui). Pour d’autres encore, c’est la peur de ne pas plaire à des hommes dont, de toute manière, elles se fichent… jusqu’au moment où elles en trouvent un de leur goût. Parmi les portraits les plus fascinants, il y a celui de Victoria dont toutes les filles se demandent quel est le secret. «Berlin, trois millions et demi d’habitants, mais il y a toujours derrière la porte un visage qu’elle a vu Dieu sait où, au travail, au supermarché, celui d’un voisin, d’un parent d’élève – à croire que Victoria disperse des phéromones attrapant tous les mecs qui voudraient bien la baiser mais qui, pour un certain nombre de raisons, ne peuvent pas.» Victoria rend les hommes fous. Comment s’y prend-elle ? En quatre ans, elle a changé trois fois de nom en vain : ses clients énamourés la poursuivent.

«Bon Dieu, qu’a Victoria qui les fait tous courir ?»

«Parfois s’élève du couloir, juste avant que la lourde porte d’entrée se referme, la plainte tonitruante d’un client qui s’en va bredouille encore une fois et lance, comme une bouteille à la mer : “Je sais que tu es là… ! Silke, je sais très bien que tu es là… !” Sans que l’on puisse déterminer si Victoria s’appelle vraiment Silke.» Emma se demande quelle magie Victoria possède pour que des jeunes clients se mettent presque à pleurer lorsqu’on leur propose une autre fille. C’est d’autant plus étrange que Victoria a 42 ans, un derrière large, presque carré et des manières de grenadier : «Elle ne fait aucun effort pour prétendre être enchantée de faire la connaissance de qui que ce soit – parfois, elle oublie d’enlever ses chaussons et passe en coup de vent, suivie d’un effluve de nourriture qu’elle a engloutie sans penser aux prochains qui se pendront à ses lèvres.» Ses vêtements et son parfum puent le métier. Mais est-ce là justement ce qui attire les hommes, fatigués par les «minauderies» et par la «bonne volonté mercantile» des autres prostituées ? Peut-être est-ce «une audace qu’on apprend après dix ans de bordel» ?

«Où va l’âme des endroits qui ont été si violemment habités ?»

Emma Becker affirme avoir beaucoup appris. Un jour, en 2017, la Maison met la clé sous la porte. Emma rachète un des lourds lits sur lesquels elle a travaillé : «On s’y enfonce terrassé par l’épuisement de tous les gens qui s’y sont dépensés pendant quarante ans», dit-elle, avouant sa nostalgie. Sa nostalgie est si puissante, d’ailleurs, qu’elle rachète même un dessus de lit afin de garder près d’elle «le fumet familier du bordel où j’ai bossé pendant deux ans», enfonçant le nez dans sa texture, à la poursuite des odeurs plus lancinantes : transpiration des corps, reste de sucs humains mélangés aux parfums d’huiles pour le corps. En 2016, Emma a accouché d’un enfant auquel, maintenant, elle consacre son prochain roman, fière, ainsi qu’elle le dit, d’avoir «réussi à devenir écrivain, amante, femme, pute et mère.»

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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La Maison, d’Emma Becker, éd. Flammarion, sortie le 21 août 2019.