Photo de John Yuyi (c) John Yuyi - www.instagram.com/johnyuyi/

Ils sont nés avec les réseaux sociaux. Jusqu’au 21 septembre, l’Espace Commines, à Paris, accueille la nouvelle génération des créateurs taïwanais. Quelle est

Photo de John Yuyi (c) John Yuyi - www.instagram.com/johnyuyi/

Ils sont nés avec les réseaux sociaux. Jusqu’au 21 septembre, l’Espace Commines, à Paris, accueille la nouvelle génération des créateurs taïwanais. Quelle est leur vision du monde ? Pourquoi font-ils de l’art avec #Metoo ?

Pour l’artiste Instagram John Yuyi, l’avenir c’est le branding digital : ses images montrent des humains tagués comme du bétail. Certains affichent la date de livraison sur le front. D’autres portent #Metoo sur le bout de la langue. Ou arborent sur les joues des icônes adhésives, pareilles à des tatouages… Ces oeuvres datent de 2018. John Yuyi les réalise pour illustrer un dossier spécial post-humain du New York Times. Consacré à l’impact des visuels numériques, le dossier commence par cette phrase : «Allons droit au but : ce que vous êtes en train de faire, lire de la prose sur un écran, c’est bientôt dépassé.»Pour l’éditorialiste, il s’agit de faire son deuil de «la pensée argumentée». Elle est has been, dit-il. Les gens préfèrent communiquer à l’aide de hashtags, de gifs ou d’instagrams. Les messages mêlant audio et visuel ont d’ailleurs tellement de succès que certains agitateurs politiques comme George Soros et la famille Mercer ont investi dans la fabrique de memes. Le financement de comptes Twitter relève du trafic d’influence et les YouTubeurs font plus vendre que les publicités papier. C’est le signe d’un changement d’ère, conclut le NY Times.

Taïwan New Wave

Tout comme les autres artistes exposés (jusqu’au 21 septembre à l’Espace Commines), John Yuyi ne juge pas. Elle se contente de donner corps à cette nouvelle réalité, celle des individus connectés. Le styliste Wang Liling, par exemple, conçoit des vêtements qui hybride les textiles et les matériaux conducteurs. La joaillère Fanny Tsai fabrique des bijoux qui semblent dématérialisés. Les créateurs de la revue 8G rising formatent leurs images pour une réalité augmentée dont ils anticipent déjà l’usage et dont ils font un outil de revendication LGBT. Taïwan est le premier pays d’Asie à légaliser le mariage pour tous. Taïwan fait aussi partie des 5 principaux producteurs de circuits intégrés. C’est Taïwan qui (de pair avec les 4 autres grands groupes de producteurs) a fait de la loi de Moore un objectif à suivre : depuis 1998, le célèbre rapport ITRS (International Technology Roadmap for Semiconductor) affiche comme but une multiplication par deux des performances des composants, tous les dix-huit mois, en même temps qu’une diminution de 50% des coûts.

En 2017, 80% des puces sont fabriquées à Taïwan

La loi de Moore n’était, en 1965, qu’une simple observation. Elle est devenue auto-prédictive. Les experts de l’ITRS y veillent. Résultat : depuis 1994, il se vend plus d’ordinateurs que de voitures. Les puces prolifèrent. Taïwan en est le premier fabriquant au monde. La quantité de données digitales augmente de façon exponentielle, bouleversant tout le système : «La pénétration des composants à l’intérieur des équipements qui supportent toute la communication des individus, des groupes nationaux ou des entités économiques leur a donné en quelques années le rôle de colonne vertébrale de l’activité humaine», résume Jacques Blamont (co-fondateur de l’Agence spatiale française, le CNES) dans Réseaux !, un ouvrage publié aux éditions CNRS en 2018. Le chercheur y dissèque les conséquences du boom des réseaux. «La mise en réseau de la foule produit une redistribution de l’autorité. Dix mille blogueurs mobilisés autour d’un discours disposent de pouvoir», dit-il. Mais quel pouvoir ? Dans le petit chapitre qu’il dédie à #Metoo, Jacques Blamont questionne l’impact des réseaux : #Metoo permet-il de changer le monde ?

#Metoo peut-il changer le monde ?

A priori, Jacques Blamont se méfie : le hashtag, dit-il, ne favorise guère que le clicktivisme (la protestation en-un-clic). Critiquant ce «mode d’engagement peu contraignant qui flatte à moindres frais la bonne conscience de pratiquants faiblement politisés», le chercheur dénonce les limites de cette forme d’action : ponctuelle, éphémère et émotionnelle, elle ne favorise ni la réflexion, ni la nuance. Retwitter un #Metoo, par exemple, cela signifie-t-il qu’on s’est fait pincer la fesse ou qu’on a été violée ? #Metoo entretient la confusion entre harcèlement et viol, au détriment des vraies victimes. Il est par ailleurs difficile d’évaluer l’impact de ce hashtag. On sait qu’il a encouragé les femmes à raconter ce qu’elles ont vécu. Dans les mois qui suivent l’affaire Weinstein, le nombre de plaintes pour agressions sexuelles augmente brutalement (+ 31 % au quatrième trimestre 2017 par rapport à 2016). Mais le hashtag a-t-il rendu les femmes plus fortes ? Leur a-t-il donné les moyens de résister aux prédateurs dans la vraie vie ? Il est encore trop tôt pour savoir. Une seule chose de sûre : le niveau d’intolérance aux abus sexuels et au sexisme a augmenté. La parole s’est déliée.

Celle dont le post a fait tomber le patron d’Uber

Dans le dossier du NY Times illustré par John Yuyi, une journaliste raconte le cas de Susan Fowler, l’ingénieure qui a fait tomber le patron d’Uber en 2017. «Elle s’était adressée au service des ressources humaines. Puis à ses supérieurs. Puis elle avait changé de service. Mais tout cela n’avait rien changé. Les messages sexuels et sexistes qu’elle recevait en tant qu’ingénieure chez Uber ne cessaient pas. Alors elle publia en ligne un post de 3000 mots sur son blog, en racontant l’histoire. Un an plus tard, une vingtaine de dirigeants (incluant le prédateur milliardaire Travis Kalanick) avaient été éjectés de l’entreprise. […] C’était à l’époque où les murmures en ligne s’étaient transformés en cris. Brusquement, les femmes pouvaient se faire entendre, les gens les écoutaient et les coupables payaient les conséquences. Une des raisons de ce changement, c’est que les médias sociaux fournissaient une plate-forme aux victimes, un réseau d’allié(e)s et une présence publique impossible à faire taire. Les médias sociaux, en dépit de leurs inconvénients, constituent désormais une puissance démocratique.»

Retwitter un hashtag : geste citoyen ou simulacre d’action ?

Pour la journaliste du NY Times, on ne peut que se féliciter de l’expansion des réseaux : ils donnent aux femmes la sensation rassurante qu’elles ne sont plus seules. «Même si ces réseaux favorisent les abus, ajoute-t-elle, puisqu’ils peuvent tout aussi bien servir à répandre des fausses accusations.» C’est sur ce point que Jacques Blamont se montre le plus critique. Retwitter un hashtag est-il un geste citoyen ou un simulacre d’engagement ? «Ce simulacre asphyxie les pratiques militantes en leur substituant un fantasme d’action. Twitter devient un tribunal virtuel dominé par l’intimidation collective. La foule se transforme en horde prête au lynchage. Même s’il est difficile d’évaluer l’impact des hashtags, on peut craindre leur nuisance médiatique.» En dépit de ces réserves, force est cependant de reconnaître la vérité. Plus rien ne peut arrêter le mouvement. Des communautés se forment en ligne. «Les citoyens n’attendent plus qu’on leur propose de participer, ils se prennent eux-mêmes en main. Ils pétitionnent, posent des questions, élaborent des réponses. […] Le Web devient la place centrale du débat ; il sera non plus un lieu de divertissement mais celui où se créent cultures, valeurs et peut-être action.»

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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Réseaux ! Le pari de l’intelligence collective, de Jacques Blamont, CNRS éditions, 2018

A VOIR : Taïwan New Wave - Xanadu Motion, du mercredi 18 au samedi 21 septembre 2019, de midi à 19h. Espaces Commines : 17 rue commines, 75003 Paris.

L’agence d’édition design alamak!project, à Singapour et Tôkyô, avec la galerie Pon Ding 朋丁 à Taipei, ont choisi ces jeunes artistes et créateurs taïwanais pour leur recherche multi-disciplinaire, de la mode à la photographie, du dessin à la vidéo, de l’artisanat à la performance.

POUR EN SAVOIR PLUS : un excellent article de Mixte Magazine sur John Yuyi.