Image (c) Jim Castre

Certains hommes fantasment sur la pénectomie: ils rêvent qu’une dame sévère vienne opérer à domicile et les «calme», d’un coup de bistouri, pour les transformer en poupées dociles.

Image (c) Jim Castre

Certains hommes fantasment sur la pénectomie: ils rêvent qu’une dame sévère vienne opérer à domicile et les «calme», d’un coup de bistouri, pour les transformer en poupées dociles. Peut-on faire remonter ce rêve érotique au mythe grec d’Ouranos ?

La castration s’applique exclusivement à l’ablation des testicules (ou des ovaires), mais le mot est souvent employé pour l’ablation du pénis. Bien qu’il s’agisse d’un emploi fautif, il est révélateur d’un fantasme plutôt courant dans le milieu du SM. Beaucoup de soumis mâles trouvent très excitant l’idée que leur organe soit mis «hors d’état de nuire». Ils disent qu’ils veulent se faire «châtrer» ou «couper», désignant leur pénis (plutôt que leur testicule) comme l’objet du délit. Ce fantasme, bien sûr, ne débouche jamais sur un passage à l’acte. Personne ne se mutile pour de vrai (1). En revanche, nombreux sont les adeptes qui mettent en scène symboliquement leur mise en incapacité. L’artiste Jim Castre fait partie des plus étonnants d’entre eux.

Mommy’s Little Angel

Son nom est un pseudonyme. Ses oeuvres circulent sur des sites consacrés auxmâles féminisés. Le célèbre Petticoat Discipline Quaterly diffuse régulièrement ses images. Ce sont des photos retouchées montrant un homme au crâne dégarni, vêtu d’une humiliante robe de soie, forcé de servir des dames d’un certain âge qui le contemplent avec sévérité. Les matronnes ont les seins moulés dans des chemisiers lavallière, trois rangs de perle et l’air sec. Elles évoluent dans des salons bourgeois ornés de grands tableaux. Elles boivent du champagne et manipulent des badines. Parfois un texte accompagne l’image : «Harry avait été tenu en état permanent de chasteté depuis l’enfance. Il avait développéune inimaginable dépendance à l’égard de sa divine mère. Mais elle n’était toujours pas satisfaite de lui. Alors, pour ses 30 ans…»

Harry sera bien sage

Sur certaines images on voit que l’homme au crâne dégarni porte une petite cage à pénis, qui maintient son sexe en état de flaccidité. Sur d’autres images la «divine mère» adopte une mesure plus radicale : la chirurgie à domicile. Une sage-femme en tailleur cintré, munie d’une sacoche Gladstone à fermoirs de cuivre, amène ses instruments. Elle procède à l’ablation puis remet à la mère triomphante le pénis en bocal du fils désormais «corrigé». Harry sera bien sage, maintenant ?

Il peut sembler étrange qu’un tel fantasme puisse paraître excitant. Mais c’est sans tenir compte de son contenu latent. Car l’image de la «castration» (pénectomie) n’est pas forcément morbide. Au contraire. Elle se rattache à un vieux fond de mythes et de symboles extrêmement porteurs en Occident.

Le geste stérilisant de la castration est à l’origine de la vie

Dans la Théogonie d’Hésiode «Ouranos, le Ciel, s’accouple avec Gaïa, la Terre, et la recouvre sans relâche, empêchant celle-ci de donner le jour à ses progénitures. Gaïa, excédée par cette copulation continuelle, fabrique alors une serpe en métal, et son fils, Kronos, posté en embuscade, saisit la serpe “la grande serpe aux dents aiguës, et, du sexe de son propre père / avec élan, il fit moisson, avant de le rejeter, d’un geste inverse, pour qu’il fût emporté au loin.”» Ainsi que l’anthropologue Gilles Tétart l’explique dans Le sang des fleurs (Odile Jacob, 2004), lorsque Kronos jette les testicules tranchés, le sang qui coule à terre donne naissance à toutes sortes de créatures (nymphes méliennes, erynnies, géants) et lorsqu’il jette le pénis à la mer, le membre coupé engendre Aphrodite.

Pour faire pousser le végétal, il faut le couper

«Dans ce poème théogonique, il importe de voir que la castration, d’où résulte une longue chaîne de naissances, est la source d’une fécondité dont l’idéal sous-jacent est végétal.» L’instrument utilisé pour la castration (la serpe) renvoie au cycle des semailles et de la moisson. Autrement dit : pour faire pousser, il faut couper. Mais ce que le poème indique, surtout, c’est qu’en «coupant court» à la sexualité de son père (le Ciel), Kronos rend possible les maternités de sa mère (la Terre). Couper «apparaît comme un moyen de greffer le flux de la génération sur le sol», explique Gilles Tétart par allusion au fait que, dans la plupart des cosmogonies, le Ciel et la Terre doivent d’abord être séparés pour que le monde puisse advenir.

Convertir la semence en sang de vie

De façon paradoxale, la castration fonctionne donc comme la métaphore de cette séparation sans laquelle le monde resterait à l’état de chaos primordial. Il faut que l’Univers s’organise en un système de principes contraires. La nuit et le jour, le Ciel et la Terre, le mâle et la femelle doivent d’abord se disjoindre pour que soient libérées les puissances génératrices de la vie. Emasculant son père, Kronos convertit la semence paternelle en source d’abondance. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que, depuis des siècles, les paysans fassent castrer les animaux qu’ils veulent rendre plus gras (les porcs, les poules, les boeufs…). Lorsqu’ils deviennent stériles, inféconds, ces animaux non seulement s’apaisent mais se mettent à engraisser, comme si la semence en eux se convertissait en graisse, synonyme de vie.

On castre les bêtes et on taille les arbres pour les faire croître

Desexualiser les animaux en les «coupant » a donc le même effet que tailler des végétaux en les élaguant : la sève ne se disperse plus, ce qui favorise leur développement. Pas étonnant que la viande bien grasse soit dite «persillée» : dans la langue des bouchers, l’animal «taillé» (châtré) est comparable à un végétal. Dans le pays brionnais, transformer un porc en animal gras se dit «fleurir». «Une bête dont la floraison est achevée est, pour ainsi dire, prête à l’abattage», explique Gilles Tétart qui ajoute : le goût de la viande semble toujours plus «doux» quand l’animal a été châtré. «Si la fonction zootechnique de la castration est de rendre l’animal plus docile, elle est également comprise comme une purification ayant pour effet d’édulcorer la viande en lui ôtant un goût d’origine sexuelle.»

Desexualiser un animal, c’est le végétaliser

Desexualiser un animal, c’est «aligner la bête sur l’arbre» et «cueillir la viande comme se cueille un légume». Quid des humains ? Lorsque leurs fonctions reproductrices sont inhibées, tout en eux se transforme. C’est cela que montre Castre (dont le nom bien sûr renvoie à “castration”) : l’effet de sublimation. Sur ses images, l’homme au crâne dégarni prend des airs de pucelle. Il porte des falbalas pastel. Il se balance sur ses talons. Il soulève la corolle de ses jupons mousseline. Tout en lui ploie gracieusement. Affranchi de sa pesante masculinité, il peut enfin goûter au bonheur d’être une nymphe. Et tant pis si la nymphe est un peu ridicule. L’homme au crâne dégarni cultive en lui le coeur d’une jeune fille en fleur.

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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Le sang des fleurs. Une anthropologie de l’abeille et du miel, de Gilles Tétart, Odile Jacob, 2004.

NOTE 1 : Il arrive que certains hommes se fassent pénectomiser et castrer, mais c’est si rare que je préfère n’en parler qu’en note. Un article leur a été consacré ici.

POUR EN SAVOIR PLUS : «Les plantes sont-elles frigides ?» ; «Entretien avec un castreur».

CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER «MIEL SEXUEL» : «L’érotisme de la cire : un rêve d’éternité ?» ; «Du porno (drôle) pour sauver les abeilles ?» ; «Contre quoi donnerais-tu ta vie ?» ; «Sainte Rita et le miracle de l’épine» ; «Ouranos et le fantasme de la castration».