Je suis née en 1989, dans le Val-De-Marne, département du 9-4. Durant toute la grossesse de ma mère, les médecins ont affirmé à mes parents que mon sexe était masculin,

Je suis née en 1989, dans le Val-De-Marne, département du 9-4. Durant toute la grossesse de ma mère, les médecins ont affirmé à mes parents que mon sexe était masculin, ils auraient donc un petit garçon. Surprise, le jour de l’accouchement : le sexe est féminin, c’est une petite fille ! L’histoire est vraie et aujourd’hui, je peux dire que cette anecdote de naissance est à l’image de ma vie, et surtout de mon rapport libre aux injonctions établies de genre. J’ai bien été une fille, mais à ma façon.

Enfant : dans la peau d’un “garçon manqué”

Je ne sais pas comment c’est aujourd’hui, mais dans les années 90, être une petite fille signifiait souvent porter des jolies robes, préférer “naturellement” le rose au bleu, regarder Princesse Starla et les joyaux magiques, jouer avec des Barbie et des poneys aux cheveux multicolores, faire de la GRS et rester entre filles à la récré sur les côtés de la cour. Quand tu ne rentrais pas vraiment dans ce cliché, tu étais… un garçon manqué !

J’avais quelques Barbie que j’affectionnais et des jolies robes finement sélectionnées par maman, mais ce que je préférais c’était de porter des baggys, jouer avec des voitures télécommandées, des pistolets à eau gros calibre, me prendre pour un Power Ranger, rejoindre les garçons pour faire une partie de basket-ball au milieu de la cour et sacrilège, ma couleur préférée était le bleu ! Il n’a pas fallu longtemps pour qu’on me colle cette étiquette vulgaire de “garçon manqué”. Vous comprenez, j’avais raté cette belle occasion d’être un garçon, pourtant j’avais essayé pendant 9 mois dans le ventre de ma mère ! Cette expression donne l’impression que si tes goûts et façons d’agir correspondent plus aux caractéristiques qu’on attribue volontiers aux garçons, tu aurais une sorte de “trouble” de la sexualité. Ce type de dénomination utilisé par grande paresse intellectuelle, garçon manqué ou fille manquée, peut causer de réelles perturbations dans la manière dont on se perçoit enfant. Cela n’est pas sans impact sur la façon dont on se construit, sur le rapport qu’on entretient aux autres et à son corps.


Capture du clip “Like a Boy” de Ciara

Durant les dernières années de l’école primaire, je me suis posée beaucoup de questions. J’avais une voix plus grave que d’autres petites filles (c’est commun pour les femmes de ma famille) et j’étais hyper douée en sport. Contrairement à la majorité des autres petites filles, j’aimais beaucoup jouer et parler avec les garçons sans en considérer un seul comme “un amoureux”. Un jour, me voici devant ma mère : “Maman, tu crois pas que je suis un garçon caché dans un corps de fille ?” Drôle de question, car je me sentais pleinement fille. Je n’avais pas réellement le sentiment d’être un garçon, je ne me sentais pas du tout transgenre. Mais la société me renvoyait constamment dans la face que mes actions et mes goûts ne pouvaient être liés qu’à des attributs masculins. A l’approche des fêtes de Noël, quand le postier livrait le Saint-Graal, à savoir le catalogue de jouets, j’allais directement vers les pages bleues pour les jouets de garçons. Ces jouets-là me donnaient plus envie et me correspondaient plus. Ce genre de détails à la con vous voyez. Comment ne pas douter de qui tu es ?


Catalogue de jouets Carrefour

Adolescente : la bonne pote, bonne “salope”

Si je devais résumer mon entrée corporelle dans l’adolescence, je dirais ceci : fléau de l’acné, des poils en masse arrivés plus tôt que chez mes copines, la honte de voir ma poitrine pousser, puis le désespoir qu’elle ne pousse plus, et l’embarras de faire une tête de plus (voire deux) que quasiment tous les garçons de la classe (et même d’être plus poilue que certains). Le petit démon du doute dans ma tête qui se balade encore : “je crois que je suis même plus un garçon que les autres garçons, qu’est-ce qu’on fait avec ça du coup ?”

Puis sans crier gare, vinrent les premiers compliments maladroits des garçons et l’admiration de quelques copines. Ma puissance en sport était devenue un motif de respect social et j’avais de plus en plus envie de troquer des baggys pour des fringues épousant plus les formes de mon corps (même si je n’ai pas cessé d’en porter pour autant). Les garçons étaient toujours essentiellement des potes, mais parfois du désir s’entremêlait avec l’amitié. L’arrivée des premières vraies attirances traçait son chemin.

Un élément récurrent est advenu dans ma relation aux mecs. Pourtant d’un naturel timide, il m’est arrivé de prendre les devants pour faire avancer un jeu de séduction qui s’éternisait un peu trop à mon goût. Pourquoi attendre toujours qu’ils fassent le premier pas et ne pas oser draguer un mec ? Ce que je n’avais pas anticipé, c’est que les règles de la drague sont établies ainsi depuis fort longtemps et que les modifier est également inquiétant pour les mecs. A 13, 17 ou 20 ans, même triste constat : les garçons paniquent vite, voire font marche arrière devant une nana “trop” entreprenante. Ca fait “trop mec”. Visiblement, encore une fois je n’avais pas bien compris les codes pour être une “vraie fille”. Retirer son rôle de chasseur à la gent masculine, c’est semblable à les émasculer. Sur cette question de la masculinité, je vous invite à lire d’ailleurs l’article Sexualité masculine, virilité et clichés.

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Très tôt j’ai su explorer mon corps dans l’intimité (traduction : me masturber), j’ai eu la chance aussi de lire des livres dédiés aux pré-ados et ados qui informaient en matière d’éducation sexuelle. De plus, ma mère n’était pas réticente à répondre à des questions que je me posais, notamment sur le sida, la grossesse ou les règles par exemple. Tout n’était pas transparent, l’information n’était pas complète, mais au moins, elle ne me laissait pas volontairement dans l’ignorance la plus totale. Tout cela a contribué à me rendre très vite à l’aise sur les questions de sexualité, à ne pas avoir peur d’en parler ouvertement avec les filles comme les garçons, à considérer cela comme un élément naturel de la vie.

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Il s’avère que j’ai été une pré-adulte très (très) aimante du sexe. Pourquoi cacher son désir sexuel à un mec qui t’attire ? Pourquoi se refréner de coucher le premier soir quand t’en crèves d’envie ? Je ne voyais pas pourquoi se perdre dans de telles considérations. Encore une fois, je ne restais pas à ma place de fille, mais vous l’aurez compris, c’était foutu depuis longtemps pour y arriver. J’étais très libre dans ma tête et dans mon corps. Forcément, c’était ni très bien vu du côté des filles, ni de celui des mecs. Des deux côtés, tu fais flipper les egos, tu représentes une attitude qui dérange, t’es une “salope” (ce que je n’ai jamais vu comme une insulte, ceci dit).

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Arrivée vers 20 ans, cela sonnait comme une évidence : qu’est-ce que je peux bien en avoir à faire de ce que les gens pensent du plaisir sexuel que je prends, et avec qui je le prends ? Je m’éclatais tellement à me découvrir sexuellement, que l’avis des autres m’importait très peu, hommes comme femmes. J’ai aussi eu la chance d’avoir des amis et amies qui ne jugeaient pas spécialement et avaient pour certain.es une vision de la vie et de la sexualité proche de la mienne. De toute façon, on n’aurait pas pu rester ami.es bien longtemps sinon.

Je me souviens de ce mec qui m’a sorti : “je me suis demandée si t’avais pas subi un viol plus jeune pour être comme ça” ! Oui, parce que vous comprenez, une nana qui aime le sexe, le revendique et le vit avec une indécence consciente a forcément des troubles psychologiques, n’est-ce pas ? Désolée pour lui, je n’ai subi aucun traumatisme sexuel, je pense qu’aujourd’hui encore il ne doit pas y croire.

Devenir femme selon sa propre définition

Aujourd’hui j’ai bientôt 30 ans, je suis en couple depuis bientôt 13 ans, je ne porte plus de baggys mais je cède toujours devant un jean “boyfriend”, j’ai toujours des potes mecs de longue date mais cela s’est équilibré avec les amitiés féminines, je continue de prendre mon pied toute seule ou accompagnée à l’envi, j’ai toujours des petits seins que je laisse fièrement vivre sans soutien-gorge et je ne me demande plus si je suis un petit garçon caché.

Avec le recul, j’ai toujours pris ma place au sein des hommes, sans m’en rendre compte et naturellement. Peut-être parce que j’ai toujours vu des femmes fortes au sein de ma famille, représenter les figures de l’autorité (j’ai une mère flic alors forcément…). Je ne comprenais pas pourquoi il fallait prendre moins d’espace que les mecs dans la cour d’école, parler moins fort qu’eux, être moins libre qu’eux. Merci d’ailleurs à maman qui m’a toujours dit ceci : “tu es belle et intelligente ma fille, tu ne vaux pas moins qu’une autre personne, quand tu arrives quelque part, tu ne dois jamais te cacher, mais prendre l’espace”.

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Mon aptitude à nouer des amitiés avec des filles a sûrement été bridée par cela : je les trouvais trop renfermées, moins naturelles, plus précautionneuses, sans comprendre pourquoi. En grandissant, cela change, surtout à l’époque actuelle. #MeToo et #BalanceTonPorc entre autres ont délié des langues, ont permis à de nombreuses femmes de briser ce silence qui sévissait dans la gent féminine, et cela aide à mieux nous comprendre entre femmes, à nous rallier, à faire preuve de sororité. J’ai aussi moi-même mieux compris les raisons qui bridaient (et brident encore) les filles.

Aujourd’hui, je me sens femme, mais je ne saurais définir pourquoi ni comment. J’ai toujours des attitudes vues comme “masculines”, mais je pense que c’est une question de perception de soi, d’oser inventer son propre territoire, d’y croire soi-même, de vouloir conquérir son for intérieur et courir avec les loups. J’ai compris que ce n’est pas une question d’avoir une poitrine, d’aimer le rose, de rôles de genre établis, d’apparence normée ou de façon de vivre sa sexualité. Je suis convaincue que nous sommes la femme que nous voulons bien être. Comme tout être vivant, on évolue avec le temps et notre environnement. Le chemin des filles et des femmes n’est pas sans embûches, et selon où on se trouve dans le monde, on peut avoir plus ou moins de difficulté à devenir celle que l’on veut être, comme nous le rappellent les documentaires #Female Pleasure et Les règles de notre liberté. C’est une lutte de chaque jour, mais oser et le vouloir est déjà un pas vers l’accomplissement. Je vous souhaite donc à toutes de tracer votre chemin et de devenir votre la femme que vous êtes !

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Nietzsche et Mme Bovary sont mes parents, Don Juan est mon premier amour. C'était mal barré. Les chiennes ne font pas les chattes.