Réclame pour le shampoing Lustre Creme, 1953.

Il est le patron des sans domicile fixe, des mendiants, des exclus et des personnes inadaptées. La légende dit qu’il aurait porté les mêmes vêtements

Réclame pour le shampoing Lustre Creme, 1953.

Il est le patron des sans domicile fixe, des mendiants, des exclus et des personnes inadaptées. La légende dit qu’il aurait porté les mêmes vêtements pendant 15 ans de suite, sans jamais les enlever, ni les laver… à une époque qui voit apparaître le bidet. Qui est-ce ?

Drôle de saint que ce Benoît-Joseph Labre qui, par esprit de mortification, aurait fait voeuvers 1770 de ne pas se laver puis meurt «en état de crasse», ainsi que disent les esprits éclairés. Son absence d’hygiène et sa vermine sont devenus proverbiaux. De son vivant même, Benoît-Joseph Labre s’attire les sarcasmes : il ne fait pas bon, en cette période dites «des Lumières», jouer les vagabonds de dieu, partager le destin des sans-abris et promener partout «le paradoxe d’une vie cachée en dieu» en s’affichant mystique des grands chemins, auréolé de mouches et couvert de gale. Au XVIIIe siècle, il reçoit des pierres. Au XIXe siècle, on s’étripe sur le «cas» Labre, pris en otage d’une querelle portant sur les vertus du savon.

Vivre d’amour et d’aumônes

Né à Amettes dans le Pas-de-Calais, Benoît-Joseph Labre (1748-1783) est l’aîné d’une famillede quinze enfants. Son père est laboureur. Très jeune, il rêve d’entrer dans les ordres. Entre ses 19 et ses 22 ans, il se présente dans plusieurs monastères et accumule les refus ou les renvois pour des raisons diverses : tantôt on ne prend plus de novices, tantôt on le trouve trop jeune, il a une santé trop fragile ou bien on «craint pour sa tête» (i.e. ses excès de contrition frôlent la névrose). Partout refusé, Benoît-Joseph trouve finalement sa voie dans une vie de mendiant et de pèlerin, vêtu seulement d’un habit grossier en loques. Un Père Abbé lui a dit: «Dieu vous veut ailleurs.» Son monastère sera la route. Ses hagiographes affirment qu’il parcourt à pied près de 30 000 km dans tous les sanctuaires d’Europe : il aurait été vu en Espagne, en Suisse, en Allemagne… Mais son lieu de prédilection, c’est Rome où il passe ses journées en prière dans les églises, logeant avec les autres pauvres dans les ruines du Colisée, distribuant aux plus démunis ce qu’on lui donne. Dans les rues, les chenapans se moquent de lui ou le caillassent. Il rend grâces à Dieu. Le mercredi saint 1783, on le ramasse mourant sur les marches d’une église. Dès sa mort connue, des enfants dépenaillés s’en vont par les rues de Rome en criant: «Le saint est mort !» Les miracles se multiplient sur son tombeau. «Bénéficiant ainsi d’un culte précoce et populaire, il est un défi au matérialisme d’une société vouée à l’argent», résume le site Nominis. Maintenant encore, saint Labre cristallise les tensions qui traversent notre société.

Le «saint clochard», le «patron de la vermine»

De son vivant, il incarne le retour à des valeurs archaïques, celles d’une foi visionnaire qui cadre mal avec l’esprit du temps. Il a atteint le degré la plus extrême de la pauvreté, alors que tous les philosophes parlent d’en finir avec la misère. Ce renoncement paraît suspect. A la veille de la Révolution qui fait de la propriété «un droit sacré» (sic), Labre fait le choix de ne rien posséder. Son mode de vie est anachronique. Pourquoi s’infliger puces, poux, morpions et punaises ? Dans un ouvrage intitulé Le prêtre et le médecin (éditions du CNRS), l’historien Georges Minois souligne qu’au moment même où Labre pratique «le refus de l’hygiène comme moyen de mortification» l’usage de la baignoire se répand en France. «Les hôtels particuliers s’équipent de “cabinets de toilette” ; les manuels d’hygiène insistent sur la nécessité de laver les parties intimes du corps : “Le soin des parties naturelles est d’une nécessité indispensable. Il faut les laver tous les jours”, dit Le Médecin des dames en 1772. On voit même apparaître les premiers bidets dans les années 1780.» «Lavez-vous !» devient le mot d’ordre des médecins, au grand dam des prêtres qui s’offusquent : se laver est dangereux pour la vertu. La baignoire incite à la mollesse. Elle pousse à la dépravation. C’est le début d’une longue dispute. Pour contrer les libres-penseurs, l’église érige «en modèle de chrétien Benoît Labre (1748-1783), l’homme qui ne se lave jamais».

Il faut «respecter le mystère de la propreté»

A la fin du XVIIIe siècle, Labre est loin d’être un cas unique, bien sûr. Georges Minois cite l’exemple de l’Italien Gérard Maiella «mort à 29 ans à force de pénitences et de manque de soins corporels.» Les autorités cléricales éprouvent d’ailleurs de l’embarras face aux pratiques jugées répugnantes de certaines religieuses. «Mais le prestige de l’ascétisme a été tellement vanté dans la tradition chrétienne, qu’il garde dans le siècle de la raison un puissant attrait sur les esprits les plus religieux.» Au XIXe siècle, avec l’avènement du puritanisme bourgeois, la situation se crispe. D’un côté, le corps devient tabou. De l’autre, la salubrité devient affaire de débat public. «Le clergé entretient une méfiance maladive autour des questions d’hygiène», raconte Georges Minois. En 1852, le Conseil central d’hygiène de Nantes affirme «Le bain est une pratique immorale» et prône la vigilance, surtout au moment de s’essuyer. On réitère les conseils d’une dame de lettres (Elisabeth Celnart)qui dans un manuel de 1833 (1) recommande : «Fermez les yeux, jusqu’à ce que vous ayez terminé l’opération». Sous couvert de «respecter le mystère de la propreté», certains manuels vont jusqu’à promouvoir le lavage habillé-e, au motif que «tout ce qui dépasse les bornes d’une hygiène saine et nécessaire conduit insensiblement à des résultats fâcheux».

Qu’est-ce qui est pire : saleté du corps ou corruption de l’esprit ?

En 1881, lorsque l’Eglise canonise Benoît Joseph Labre –confirmant la tradition de saleté comme signe de sainteté- la presse raille celui qu’elle appelle le «garde-manger des punaises». «La couverture de L’Anti-clérical célèbre l’événement par une caricature montrant “l’archevêque de Paris se rendant à Rome pour la canonisation de Labre, patron de la vermine”, dans une chaise roulante tirée par des poux, tandis que l’on chante ce cantique d’Alfred Le Petit : “Des poux, des poux / Chrétiens entre nous / Chantons : qu’il est doux / D’avoir des poux”.» Par réaction, le clergé affirme qu’il vaut mieux avoir l’âme propre. «En 1937 encore, l’abbé Thellier de Poncheville (1875- 1956) se plaint de ce que les fidèles de nos jours préfèrent la salle de bains au confessionnal : “L’hygiène leur tient lieu de morale”, écrit-il. Face à face donc, l’école laïque, où un article du catéchisme laïque du docteur Thulié recommande : “Tu auras soin de ton corps, parce que la malpropreté est répugnante et engendre des maladies”, et l’école catholique, où un candidat au certificat d’études à Joué-sur-Erdre, vers 1880, dans une rédaction sur “les avantages de la propreté”, raconte l’histoire d’un jeune homme damné pour s’être trop lavé, et conclut : “Mes enfants, ne vous mettez pas si propre et plutôt priez afin qu’il [Dieu] vous donne la possession éternelle qui est le ciel.”»

163 miracles certifiés : le dernier des thaumaturges

De part et d’autre du saint, les pro et les anti-hygiène s’envoient des insultes (2), oubliant –mais un peu vite– que la figure de Labre dépasse de loin ces confits. Il a beau faire le succès de chansons narquoises et de caricatures grotesques, ce Diogène chrétien incarne une forme de foi qui défie la bien-pensance. Même ceux qui se moquent de lui, sûrs et certains (ainsi que dit joliment Jacques Gadille) «que la voie du progrès et du bonheur du peuple [va] à l’inverse de celle où s’attardent les rêveurs d’un christianisme inefficace et dépassé» doivent s’incliner devant la part de mystère que recèle ce «mystique en haillons». Barbey d’Aurevilly lui-même le regrette : Labre n’a jamais eu le biographe qu’il méritait. Toute sa vie, il est ignoré. A peine meurt-il, à 35 ans, qu’une foule accourt voir son cadavre. Des miracles ont lieu, puis se multiplient sur sa tombe : 163 sont certifiés. Une aubaine pour les autorités cléricales qui voient là le moyen de réaffirmer la puissance de l’église. Mais pour combien de temps ? Saint Labre fait partie des derniers thaumaturges. Maintenant c’est le médecin qui fait des «miracles», raconte Georges Minois. La situation s’est «totalement inversée, le médecin remplaçant le prêtre, décidant de la vie et de la mort, et la médecine faisant office de nouvelle religion, promettant à son tour des chimères : longévité extrême, jeunesse éternelle, beauté et santé inaltérables, tandis que le psychanalyste prend la place du confesseur.»

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Article sponsorisé par Tatiana

 

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Le prêtre et le médecin. Des saints guérisseurs à la bioéthique, de Georges Minois, éditions CNRS, 2015.

Histoire des pratiques de santé. Le saint et le malsain depuis le Moyen Age, de Georges Vigarello, Paris, Points, 1999.

Un mystique en haillon. Saint Benoît-Joseph Labre, de Jean Ladame, Montsur, 1987.

«Invention d’un saint, prolifération d’images. Le cas Benoît Labre», de Claude Langlois, Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, tome 102, n°2. 1990.

«Autour de saint Benoît-Joseph Labre, hagiographie et critique au XIXe siècle», de Jacques Gadille, Revue d’histoire de l’Église de France, tome 52, n°149, 1966.

NOTES

(1) Manuel des dames, ou l’art de l’élégance, sous le rapport de la toilette, des honneurs de la maison, des plaisirs, des occupations agréables, 1833

(2) «Vers 1910, à Blajan, en Haute-Garonne, un instituteur dicte à ses élèves le texte suivant : “Les populations cléricales ne pratiquent guère les bains parce que leur religion leur apprend une sale pudeur”. […] La saleté des ecclésiastiques est un des thèmes favoris de la propagande anticléricale : le clergé forme “une clique qui pue à cent pas”, les soutanes sont imbibées de graisse et souillées de toutes sortes de liquides, les religieuses empestent la sueur et dégagent une “odeur fétide”. […] Le meilleur moyen de mettre fin au cléricalisme, ce serait d’imposer l’hygiène, affirme en 1880 La Semaine anticléricale. Avec les premiers scandales de pédophilie qui commencent à filtrer, comme à Cîteaux en 1888, l’image qui s’impose pour représenter les prêtres est celle du cochon, sale et lubrique.» (source : Le prêtre et le médecin. Des saints guérisseurs à la bioéthique, de Georges Minois, éditions CNRS, 2015).